Sara Viguié Foxa, de la restauration à la création

Sara Viguié, alias Foxa, fait partie des artistes qui ont instinctivement choisi le cheval comme source d’inspiration. Cette singularité lui permet aujourd’hui de conjuguer profession(s) et passion(s) avec brio et succès. Rencontre avec une jeune trentenaire qui a fait de la technique sa source de liberté.



En matière d’art comme d’équitation, Sara Alami Viguié, née en 1986 de la rencontre d’une infirmière et d’un conseiller principal d’éducation, n’est pas vraiment une enfant de la balle. Élevée à Paris, la jeune fille n’est toutefois pas totalement déconnectée du monde rural. « Passionné de chevaux, mon grand-père avait été maréchal des Logis à la Garde républicaine. Dans ma famille, il y avait donc tout un imaginaire lié au cheval militaire », analyse-t-elle. Organisant la première rencontre entre sa petite-fille et l’animal, l’homme l’emmène dans un petit centre équestre situé à quelques kilomètres de Houdan, dans les Yvelines. Près de trente ans plus tard, les souvenirs sont un peu flous et ne permettent plus vraiment à Sara d’identifier la structure équestre où elle a effectué ses débuts. « Je me rappelle juste qu’il y avait un château et une écurie », décrit-elle. Comme souvent, cette rencontre provoque un coup de foudre. « Comme toutes les petites filles, je ne parlais que de ça ! » Afin de permettre à leur fille de s’adonner aussi souvent que possible à l’équitation, ses parents l’inscrivent au centre équestre de la Villette, l’un des quelques clubs établis intramuros. Pendant quinze ans, la jeune fille y suit un parcours assez classique, ponctuant chaque saison par un voyage à Lamotte-Beuvron et des vacances en Sologne. Sara Viguié est tout autant passionnée de dessin. « Dès que j’ai pu tenir un crayon dans la main, je me suis mise à dessiner des chevaux », confie-t-elle. Si l’artiste a conservé ses premiers travaux, son œuvre et son travail ont bien entendu considérablement évolué depuis. Pour autant, « le cheval a toujours été ce que j’avais le plus de plaisir à dessiner »,se souvient-elle. Véritable autodidacte, Sara n’a guère écumé les cours d’arts plastiques. « Au début, je crayonnais librement. Voyant que cela me plaisait beaucoup, mes parents m’ont inscrite à quelques cours avec un professeur, mais je m’ennuyais un peu. Je n’avais pas envie de dessiner des pommes et des natures mortes », s’amuse-telle à raconter.

" Apogeo, quintessence baroque ", le premier bronze réalisé par l’artiste.

" Apogeo, quintessence baroque ", le premier bronze réalisé par l’artiste.

© Foxa



De l’archéologie à l’art

"Destriers et dragons se battant ", haut-relief (50 x 100 cm), technique mixte.

"Destriers et dragons se battant ", haut-relief (50 x 100 cm), technique mixte.

© Foxa

La jeune femme obtient un bac littéraire option histoire des arts puis entame des études d’archéologie à l’université Paris IV. « Au bout de deux ans, j’ai décidé de m’orienter vers la conservation-restauration. En fait, la matérialité des œuvres me manquait et je préférais entrer dans leur intimité. » La jeune femme intègre l’école de Condé, à Paris, et suit un cycle de six ans, composé notamment de cours de techniques artistiques : dessin, peinture, copie et modelage. « J’ai obtenu un master en restauration, spécialité verre et céramique archéologique. » Si elle continue à créer ses propres œuvres, elle devient une technicienne de l’art. « Quand on pratique la restauration, on est obligé de maîtriser les techniques qu’on veut reproduire », rappelle-t-elle. « Il faut être créatif quand on réfléchit aux matières, mais on ne doit pas réinterpréter l’œuvre ni se substituer à l’artiste. » Sara développe aussi son acuité visuelle. « C’est à ce moment-là que j’ai compris quelque chose dans le geste de la main et que j’ai commencé à développer mon propre travail », analyse-t-elle encore. En quelque sorte, la rigueur de sa formation lui a offert l’opportunité non seulement de s’approprier les techniques qu’on lui a transmises, mais aussi de s’affirmer peu à peu en tant que créatrice. « Quand on se plonge dans la technique, qu’on l’accepte et qu’on s’en empare, celle-ci nous aide finalement à faire ce qu’on veut. Pour ma part, la technique m’a permis d’acquérir la liberté d’exprimer un point de vue personnel. »

Dès la fin de sa formation, en 2012, Sara Viguié commence à collaborer à des missions archéologiques. « Je suis vite partie au Koweït. Du reste, j’avais déjà commencé à travailler pendant mes études, notamment à Alexandrie, en Égypte. Au sein du CEAlex, le Centre d’études alexandrines, j’avais participé à l’élaboration d’un système de marquage des céramiques issues des fouilles archéologiques marines. » Pendant un ou deux mois par an, la jeune femme s’expatrie, ce qui ne l’empêche pas de continuer à monter à cheval. De retour en France, Sara ouvre son atelier, où elle restaure des œuvres issues de collections privées. Elle devient également professeure, dispensant son enseignement au sein d’un centre culturel et d’une école d’art. « Transmettre cette technique, qui permet d’exprimer ce qu’on veut, m’apporte beaucoup », se réjouit-elle. La moitié de la semaine, elle délivre donc des cours, « un peu aux dépens des missions archéologiques », reconnaît-elle, « mais le monde de la restauration est difficile quand on souhaite en vivre. J’ai donc cherché une certaine forme de stabilité ».

L ’artiste s’est donc donné le temps de mûrir avant que son travail créatif puisse véritablement s’exprimer. « Quand j’ai commencé la sculpture, j’étais encore étudiante donc je n’avais pas beaucoup de place, ni de moyens. J’achetais des bobines de fil de fer et je montais des sculptures équestres. Au fur et à mesure, je les ai habillées, et la structure en fer en est finalement devenue l’ossature. »Sa maîtrise des techniques et des matières ainsi que ses petits moyens financiers lui permettent alors de leur donner un corps. « Le dessin modèle mon esprit, mais c’est vraiment à travers la sculpture que j’exulte le plus », lance Foxa, l’alias de la créatrice. « J’ai choisi ce pseudo lors de mes premiers dessins un peu plus poussés, avant la vingtaine. J’ai toujours aimé le “Roman de Renart” (ensemble médiéval de récits animaliers écrits en ancien français et en vers, ndlr). Cela vient notamment de là (renard se dit « fox » en anglais, ndlr). J’aime bien ces animaux aussi. D’ailleurs, je ne pensais pas qu’ils auraient un jour autant la cote dans la culture populaire, à l’instar de la licornemania qui sévit actuellement ! »



Géricault et Bourdelle

Dessin, sculpture, céramique, peinture, Sara Viguié touche à tout. Elle nourrit également un certain attrait pour des techniques moins connues du grand public, celles des hauts et bas-reliefs. « Pour moi, faire sortir des figures de panneaux de bois a quelque chose de magique. » Selon elle, c’est d’ailleurs un haut-relief qui incarne le mieux son œuvre. « C’est une pièce assez fondatrice dans mon travail car je raconte une histoire. C’est une scène animalière fantastique à travers laquelle j’ai présenté ma vision de l’antique. Je voulais donner l’impression qu’elle vient d’un temple ancien mais qu’en même temps, on s’interroge sur son histoire. En somme, c’est ce que font les historiens d’art. » L ’artiste avoue néanmoins être passionnée par toutes les techniques. Elle apprécie ainsi le travail des contrastes, très présent notamment dans l’œuvre de Théodore Géricault (1791-1824), qui compte naturellement parmi ses influences. « Quand j’avais dix ans, ma mère m’a offert un catalogue d’exposition de Géricault. Cela a été mon premier coup de foudre artistique. J’ai suivi sa ligne pour apprendre, même s’il faut savoir s’émanciper de ses maîtres pour produire son propre travail. » Art et équitation sont donc intimement liés dans le parcours de la jeune femme, s’alimentant l’un et l’autre. « Grâce au cheval, je me suis intéressée à toutes les peuplades ayant développé des mythologies cavalières. »

Sara Viguié ne cache pas non plus son admiration pour Antoine Bourdelle (1861-1929), dont elle visite régulièrement l’atelier reconverti en musée, dans le XVe arrondissement de Paris. « J’adore ce lieu. Antoine Bourdelle a travaillé sur la mythologie et l’antique. Dans ce musée, il y a une sculpture avec un cheval assez extraordinaire », admire la Francilienne, aujourd’hui établie à Mantes-la-Jolie, qui s’est initiée à l’univers antique dès ses premières lectures adolescentes. « Il y a une forme de synthèse de la psyché humaine qui s’exprime. C’est une traduction onirique de la vie. Et moi, j’aime représenter une réalité psychique. » Après avoir montré son travail à Deauville, Clermont-Ferrand, au Polo de Paris et au haras de Saint-Lô, Sara Viguié Foxa présente jusqu’au 25 octobre une nouvelle exposition, composée d’une quarantaine d’œuvres et intitulée « L ’écume des songes, Interprétations d’une présence équestre dans l’imaginaire et le patrimoine breton », au Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Guimiliau, entre Morlaix et Brest, dans le Finistère. L ’artiste a profité de cette occasion pour expérimenter de nouvelles techniques, et notamment s’essayer au court-métrage. « Par exemple, il y a un petit dessin animé, composé de plus de deux cents dessins. C’était très plaisant de les voir prendre vie. » Après de longs mois de création, c’est certainement aux côtés de son fidèle Lusitanien Martel que Sara trouvera le repos… et de nouvelles idées.


Cet article est paru dans le numéro 108 de GRANDPRIX.