Les aides financières du Gouvernement suffiront-elles à sauver les centres équestres?

Depuis le début de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, les structures équestres, surtout les poney-clubs et centres équestres, survivent difficilement au confinement. De nombreux appels à l’aide ont été lancés. Grâce à une action collective, un accompagnement financier spécifique et urgent des établissements recevant du public a enfin été annoncé le 21 avril par le Gouvernement. À quoi ressemblera-t-il? Quelle seront son ampleur et ses conditions d’application? Et surtout, suffira-t-il à sauver ces très petites entreprises de la faillite?



Depuis le début du confinement, les structures équestres souffrent. Les cours ont été suspendus, de même que les stages, balades, randonnées, sorties en concours, bref tout ce qui constituait leurs recettes habituelles et régulières. Certes, des initiatives ont été prises pour que les forfaits, plutôt que d’être remboursés, soient rattrapés ultérieurement. Vendredi dernier, la Fédération française d’équitation (FFE) a lancé une campagne et une plateforme de dons intitulé Cavalier solidaire encourageant tout un chacun à soutenir la structure de son choix. Dans la même veine, on peut saluer les initiatives des cavaliers de haut niveau. Menés par Philippe Rozier, certains se sont engagés à organiser des stages dont ils vont verser le bénéfice aux centres équestres, d’autres à leur offrir de grandes quantités de foin ou d’aliments ou encore à vendre des objets qui leur sont chers pour récolter des fonds. Par ailleurs, de nombreux chevaux et poneys ont été mis au pré, réduisant ainsi au minimum les dépenses liées à leur entretien. Et pour certaines structures ne disposant pas de suffisamment d’espace, la solidarité agricole a fonctionné avec plus ou moins de succès, avec à la clé des mises à disposition de pâtures.

“Tout cela est bel et bon”, mais si la France veut sauver ses structures équestres, cela ne suffit pas! Rappelons quelques chiffres significatifs. La FFE compte un peu moins de 700 000 licenciés, ce qui fait d’elle la troisième fédération sportive nationale. Le secteur compte 1,2 million d’équidés, 65 000 emplois directs et génère un chiffre d’affaires cumulé (sports et loisirs, courses, élevage) de 11 milliards d’euros. Avant la crise sanitaire actuelle, la filière s’était déjà trouvée fragilisée par le passage du taux de TVA de 5,5% à 20% sur les activités équestres, imposé par l’Union européenne. Depuis le début de la crise, de nombreuses entités se sont mobilisées pour enjoindre le gouvernement à remédier à ce naufrage, comme le rappelle le Groupement hippique national (GHN), premier syndicat de dirigeants d’établissements équestres. L’action collective commence à porter ses fruits, la demande étant appuyée par plus de soixante députés emmenés par Martine Leguille-Balloy, présidente du groupe Cheval de l’Assemblée nationale. Sans oublier le travail du groupe Cheval au Sénat, présidé par Jean-Pierre Vogel, dans les débats sur la prochaine loi de Finances rectificative. Le GHN a travaillé en étroite collaboration avec M. le Sénateur afin qu’un amendement soit déposé en ce sens.



Des fonds, oui…

Une brèche s’est ouverte vendredi dernier lorsque Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a porté et fait adopter un amendement visant à accompagner financièrement l’alimentation et les soins prodigués aux animaux des parcs zoologiques, cirques et refuges. Le même jour, le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, conscient des menaces pesant de plus en plus sur ces très petites entreprises, a adressé une lettre au Premier ministre, Édouard Philippe, réclamant un plan de sauvetage complet pour la filière cheval, rappelant aussi l’urgence d’une situation rendue d’autant plus dramatique par le statut particulier et handicapant des centres équestres. Agriculteurs par nature avec une vocation sportive, éducative et touristique, les établissements équestres relèvent de plusieurs ministères, ce qui les empêche de bénéficier des différents dispositifs mis en place par le gouvernement. Mardi, grâce à cette forte mobilisation, le gouvernement a fini par réagir. “Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et Roxana Maracineanu, ministre des Sports, annoncent que cette disposition (celle visant les zoos, cirques et refuges, ndlr) bénéficiera également aux centres équestres recevant du public et aux poney-clubs qui connaissent des difficultés financières en raison du confinement et de la suspension des activités de sport et de loisirs, selon des modalités qui seront définies dans les prochains jours.”

Reste à connaître l’ampleur et les modalités de cette aide. GRANDPRIX a tenté d’en savoir plus auprès des ministères concernés, mais n’a pas reçu de réponses à ses questions ou bien des retours pour le moins vagues et laconiques, à l’instar de celui du cabinet de Gérald Darmanin. Ce sera défini par voie réglementaire dans les prochains jours. Notons toutefois qu’à la somme engagée s’ajouteront 5 millions d’euros reversés par le Fonds ÉPERON, comme l’a promis Gérald Darmanin au cours d’une séance publique au Sénat le 21 avril.

Quoi qu’il en soit, les centres équestres accueillent cette mesure avec un certain soulagement, comme en témoigne Sophie Bonnemason, directrice du comité régional d’équitation de Normandie: Le printemps et l’été sont des périodes essentielles pour leurs activités: stages, concours, passages de Galops, randonnées, accueil de touristes, projets avec les écoles, etc. Depuis le début du confinement ils ont perdu d’importantes rentrées d’argent: de l’ordre de 20.000 euros pour les petites structures et jusqu’à 80.000 euros, voire plus, pour les plus importants. Concernant l’aide annoncée par le Gouvernement, les clubs seront invités à déposer une demande individuelle auprès des services de l’État pour les aider à financer les charges qui ont continué à courir malgré l’arrêt de leurs activités. Ce qui les inquiète le plus, c’est l’absence de visibilité quant à la reprise. Aucune date n’a pour l’instant été annoncée. La FFE et les autres représentants de la filière ont exprimé des besoins et fait des propositions. Maintenant, il faut attendre. À ce stade de la crise, il est difficile de se projeter car il reste trop d’inconnues. Chaque centre équestre a un profil différent du fait de sa taille, de ses activités, de sa localisation, de son environnement, etc. En revanche, il est clair que cette période aura des répercussions fortes et à long terme sur notre filière comme sur beaucoup d’autres secteurs d’activité.

À ce sujet, les avis des professionnels concernés sont sans appel. Certes, une aide financière sera la bienvenue pour soutenir, aider, voire sauver certains centres équestres, mais elle ne suffira pas. En effet, il leur semble nécessaire d’avoir non seulement une visibilité réelle sur un avenir proche, mais aussi de mener une réflexion en profondeur. Jacob Legros, président du conseil régional d’équitation d’Occitanie, monte au créneau: En Occitanie, les charges mensuelles incompressibles s’élèvent en moyenne à 9.000 euros par structure, et on compte environ sept cent cinquante centres équestres, ce qui représente un total de 6,75 millions d’euros par mois… et plus de 13 millions d’euros pour deux mois. Si l’on rapporte cela à l’échelle de la France, c’est colossal… Là, on entend des bruits de couloirs selon lesquels l’aide promise s’élèverait à 30 millions. Ce serait un bol d’air, mais un pansement! Il est clair que les centres équestres ne tiendront pas trois, ni encore moins quatre mois de confinement.



…mais encore ?

De nombreux points positifs sont à souligner: le soutien de la FFE, les démarches lancées en notre faveur par Jacob Legros et la solidarité dont ont fait preuve de nombreuses personnes. Par exemple, j’ai reçu gratuitement dix bottes de foin, témoigne Axel Marcouly, cavalier professionnel de saut d’obstacles et moniteur à la tête du centre équestre du Pont de la Madeleine, à Faycelles dans le Lot. “Cependant, depuis le début, nous avons dû faire face à certaines incohérences qui nous ont fragilisés. Par exemple, on peut continuer à circuler dans un supermarché tandis que nous avons dû fermer, or l’équitation est un sport qui se pratique seul, sur un cheval, et en extérieur! Il aurait suffi de mettre en place des protocoles adaptés. De même, le jour de l’annonce du confinement, les concours ont été annulés et se sont vidés d’une heure à l’autre, alors que les élections se déroulaient le surlendemain! En outre, de nombreux propriétaires ont allègrement quitté le navire, procédant à des ruptures de contrat abusives, soit pour économiser de l’argent, soit pour avoir leur cheval près d’eux. Cette concurrence déloyale restée impunie fait beaucoup de dégâts. Nous avons besoin de retrouver la confiance. Recevoir une aide, c’est bien, mais il faudrait que les choses changent de façon plus globale. Par exemple, nous nous inquiétons beaucoup de la reprise: si les écoles rouvrent, pourquoi pas nous? De même, nous nous préoccupons du retour à la compétition. C’est essentiellement elle qui nous fait vivre: de nombreuses structures organisatrices, comme la mienne, comptent dans leurs revenus les montants générés par les engagements. C’est en concours que les chevaux sont valorisés de manière à être vendus. C’est la mécanique des concours qui nous fait gagner notre vie pendant la saison: presque tous les weekends, je remplis le camion, je compte sur la location des chevaux pour les tours, le coaching… Nous sommes encore loin d’être complètement rassurés et de nous sentir vraiment sauvés.

Cette inquiétude est également partagée par Romain Jeanclos, cavalier professionnel, préparateur de jeunes chevaux, marchand et gérant de l’écurie d’Abako, dans la région de Toulouse, qui regroupe à la fois une écurie de propriétaires et un poney-club. Je subis de plein fouet la situation. J’ai une école d’équitation qui compte cent quatre-vingts adhérents et environ quarante-cinq chevaux d’instruction. Les forfaits trimestriels et cartes de leçons devaient être renouvelés début avril, ce qui fait un manque à gagner d’environ 25.000 euros. Les stages de Pâques, qui sont les plus rémunérateurs et n’ont bien entendu pas eu lieu, représentent pour moi environ 5.000 euros. Cette année, pour dynamiser mon poney-club, j’avais contacté les écoles des alentours et constitué des dossiers d’agrément auprès de l’inspection académique. Nous devions accueillir cinquante enfants par jour en mai et juin, pour un revenu total 8 000 euros. Hélas, ils ne viendront pas. Par ailleurs, je comptais beaucoup sur ces écoles pour attirer une nouvelles clientèle. L’impact économique sera donc double: des pertes sèches et directes et des perspectives bien moroses. Je ne parle même pas des conséquences de la crise sur mes activités de valorisation et de commerce de jeunes chevaux. Heureusement, les propriétaires, qui représentent aujourd’hui ma principale source de revenu, jouent le jeu, mais pour combien de temps? Sans perspective de compétition ni même d’accès à leurs chevaux (ce qui a été assoupli depuis aujourd’hui par le ministère de l’Agriculture, même si l’annonce quelque peu hâtive demande encore à être précisée, ndlr), leur motivation risque de s’effriter… Les annonces de l’État restent vagues. Le Fonds ÉPERON va-t-il réellement être activé? Combien l’État va-t-il débloquer? Qui va répartir l’argent et sur quels critères? Il ne faut pas que ces aides soient des pansements sur des plaies ouvertes. À mon sens, il faut profiter de cette crise pour repenser nos structures et permettre aux projet viables économiquement et socialement de repartir. Un saupoudrage en urgence ne sera qu’un gaspillage d’argent public qui a priori ne débordait pas des caisses avant le crise… La seule aide urgente qui me semble nécessaire est celle qui doit permettre aux entreprises en cessation de paiement de pouvoir nourrir leur cheptel le temps que celui-ci soit vendu pour ne pas se retrouver dans des situations de maltraitance animale.

Conscient de ces urgences extrêmes, Jacob Legros apporte des précisions et évoque les solutions envisagées pour la reprise. Nous attendons le retour du Gouvernement au sujet d’un plan bio-sanitaire que nous avons élaboré, qui tend à respecter l’équilibre entre économie, car il faut sauver nos clubs, et santé, car la crise est bien là – les gens continuent de mourir et il ne faut prendre aucun risque inutile. J’en ai d’autant plus conscience que mon vice-président, Pascal Foulquié, est médecin. L’idée serait de lancer un premier départ le 1er mai avec des pratiques individuelles, de manière à bien roder un système qui serait à même de s’ouvrir aux pratiques collectives à compter du 11 mai. Le stade ultime, c’est la reprise de la compétition, mais nous ne serons dans le moule que lorsque nous obtiendrons l’autorisation officielle de pouvoir réunir plus de cent personnes.