“Nous vivons des moments difficiles qui nous obligent à repenser notre modèle de fonctionnement“, Laurent Duray

Directeur général du groupe LIM, dont font partie les célèbres selliers CWD, Butet et Devoucoux, Laurent Duray est également un partenaire important du saut d'obstacles de haut niveau. Alors que les inquiétudes vont bon train en ce qui concerne la volonté et la capacité des partenaires à contribuer à la relance des compétitions équestres, qui de mieux pour parler du sujet qu'un partenaire d'événements lui-même? Après Caroline di Stefano, de la Laiterie de Mntaigu, il y a quelques jours, c’est au tour de Laurent Duray de répondre à ces questions.



Comment s’est déroulé le confinement pour vous?

Globalement, plutôt bien. Tout s’est bien passé d’un point de vue personnel. Ce confinement a été l’occasion d’échanger et de passer plus de temps en famille. J’ai ainsi eu la chance de profiter de mon épouse et de nos enfants pendant toute cette période. C’étaient des retrouvailles ! À titre professionnel, c’est un moment douloureux à surmonter. La fermeture des centres équestres et l’annulation des événements sportifs nous ont contraint à suspendre des activités et des collaborations sur le terrain. Nous avons été obligés de mettre une partie de nos employés en chômage partiel, mais nous avons eu la chance de laisser nos ateliers ouverts. Même si les effectifs n’étaient évidemment pas complets, puisque les parents qui avaient des enfants à garder ou les personnes à risque sont restés chez eux, tous les équipiers qui le pouvaient sont venus. L’objectif était simplement de servir les commandes déjà passées avant le 17 mars. Dans cette période difficile, cela a tout de même été réjouissant et satisfaisant de témoigner de la résilience et de la volonté de tous nos employés à livrer et satisfaire nos clients. Nos équipes ont été à la hauteur de l’événement. En tout cas, nous avons essayé de traverser cette crise le moins durement possible. 

Le groupe LIM, auquel appartient CWD, Butet et Devoucoux, a participé à l’élan de solidarité afin de soutenir les centres équestres français qui souffrent durement de la crise. Pouvez-vous revenir sur votre initiative?

Il nous a paru assez naturel de participer à cet élan de solidarité, pour nous comme pour nos cavaliers, ainsi que l’agence Fences qui s’est pleinement engagée dans l’opération que nous avons menée. Les centres équestres sont le socle et l’origine de notre sport, c’est de chez eux que sont issus nos clients, qu’ils soient cavaliers amateurs, propriétaires ou athlètes de haut niveau. De fait, ne serait-ce que d’un point de vue stratégique, il est nécessaire que la filière soutienne les centres équestres en difficulté car ils fabriquent tous les cavaliers de demain. Et évidemment, l’amour du cheval et de la pratique de l’équitation étant notre passion commune, nous souhaitons tous que les chevaux des centres équestres puissent manger à leur faim et s’assurer de leur bonne santé. Afin d’aider les clubs, nous avons mis aux enchères des selles de cavaliers de haut niveau qui ont une histoire particulière. L’acquéreur de la selle se voyait également offrir un stage avec le propriétaire de la selle. La vente, qui s’est terminée hier soir, nous a permis d’engranger environ 40 000 euros, ce qui est une très belle somme. Nous sommes heureux de cette réussite, qui s’inscrit dans un élan de solidarité fort. 

Cette crise a permis de mettre des gens de l’ombre en lumière. Par exemple, le milieu du sport de haut niveau a publiquement célébré et aidé les centres équestres, qui sont extrêmement symboliques et importants pour note filière, alors qu’ils étaient parfois présentés en opposition. Quel regard portez-vous sur ces retrouvailles entre le professionnel et l’amateur?

Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une opposition très forte entre le milieu du haut niveau et les centres équestres en temps normal. Nous avons eu l’occasion d’échanger beaucoup avec nos cavaliers partenaires et ils se sont très généreusement impliqués dans le projet. Même si les parcours et les besoins ne sont pas toujours les mêmes pour un cavalier de haut niveau et un cavalier de club, et que ces deux mondes interagissent et vivent en parallèle, les cavaliers de haut niveau restent toujours très attachés aux centres équestres. Ils sont tous issus de ces clubs! Cet épisode difficile a au moins permis de montrer à quel point les sportifs de haut niveau sont reconnaissants envers les centres équestres. En cela, cette période a été belle.



Comment se portent vos activités?

Il est clair que nous vivons un moment très difficile pour nos entreprises. Même si nous avons réussi à livrer les clients qui avaient passé commande avant la mi-mars, nous sommes vite rentrés dans une stratégie de confinement. La priorité a été donnée, à juste titre, à la préservation de la santé publique, et par conséquent l’ensemble de nos systèmes de production a été mis à l’arrêt. Cette pause représente un fort coût pour nos entreprises. Depuis des années, notre stratégie a été de consolider notre place sur le marché et de poursuivre une démarche d’entreprise à taille humaine avec une assiette importante de chiffre d’affaires. Nous comptons des centaines de collaborateurs dans le monde, dont trois cents en France, nous sommes présents dans douze pays et avons acquis une présence à l’international. Nous avons la chance d’avoir des équipes de gens passionnés par leur métier parce que passionnés par le cheval et l’équitation. Quand nous allons devoir reprendre nos activités et retrouver de la motivation, cela va évidemment nous aider et c’est une chance. Pour autant, nous vivons malgré tout des moments difficiles qui nous obligeront à repenser notre modèle de fonctionnement afin d’être encore plus agiles à l’avenir. Par exemple, nos collaborateurs ont pu apprendre le télétravail. Nous remettons en question plein de fondamentaux dans le cadre du développement de nos affaires. En bref, nous réfléchissons à la manière dont nous allons pouvoir profiter de cette crise pour faire entrer notre modèle organisationnel dans une nouvelle ère. 

Quel regard portez-vous sur les conséquences de cette crise sur notre société de manière générale? 

J’espère qu’un certain nombre d’abus qui étaient les nôtres vont s’arrêter. L’arrêt complet des activités économiques a permis à la planète de se régénérer et de “respirer“ un peu. J’espère que nous allons tirer les enseignements de cette crise et réfléchir au développement d’une société un peu différente. Cela pourra peut-être permettre un rééquilibrage entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud car nous voyons bien que les pays du sud sont les plus touchés. Les changements après cette crise passeront aussi par une volonté générale de l’ensemble des acteurs de s’engager dans une nouvelle voie. À nos gouvernements et gouvernants de mettre en place des politiques dans cette direction. 

Quid du milieu des sports équestres? Cette crise va-t-elle selon vous engendrer des changements, positifs ou négatifs?

Oui, je le crois. Nous passerons d’abord par une période de transition qui, j’espère, sera la moins douloureuse possible. Nous le voyons actuellement, mais de nombreux organisateurs, par peur et/ou conscience du risque, ont préféré annuler leurs événements cette année, y compris pour des concours qui devaient avoir lieu à l’automne. Je pense que la période sera compliquée pendant un an, puis nous reviendrons à une pratique plus normale. Il faudrait que cette période soit mise à profit pour tirer un certain nombre d’enseignements sur qu’on faisait bien et ce qu’on faisait moins bien. Je ne crois pas en une rupture forte, immédiate et globale de notre système, et je pense qu’elle n’est pas souhaitable, donc nous avons besoin d’une transition relativement en douceur. Par exemple, on parle beaucoup de l’empreinte écologique des événements équestres. Moi, je crois beaucoup en l’avènement des stades équestres. Nous devrions davantage utiliser les structures équestres permanentes, qui sont moins couteuses écologiquement que les événements éphémères dans les villes. Il faut préserver l’ensemble des équilibres de manière à ce que chacun ait le temps de s’inscrire dans ce nouveau modèle et ne laisser personne sur le bord de la route. Il y aura mécaniquement des évolutions. J’espère qu’elles feront le moins de casse possible et qu’elles se feront avec les partenaires.



Nombreux sont les acteurs du milieu des sports équestres qui appréhendent l’après-confinement. De nombreux cavaliers ou marchands de chevaux craignent que les sponsors n’aient pas les ressources financières suffisantes pour pouvoir réinjecter de l’argent dans les concours de haut niveau afin qu'ils puissent redémarrer. En tant qu’entreprise qui soutient de nombreuses épreuves dans des prestigieux rendez-vous, comment appréhendez-vous l’après-Covid ? 

Nous souhaitons participer à la création du monde de demain. Notre stratégie de partenariat avec les événements reste la même. L’enjeu pour nous est d’essayer de rendre au milieu équestre une partie de ce qu’il nous donne. La période qui arrive sera difficile pour nous, c’est clair. Je ne sais pas à quel rythme va repartir le marché, comment va redémarrer la pratique de l’équitation, les événements de haut niveau... La seule chose que je sais, c’est que l’homme est meilleur au contact du cheval, et que ce dernier permet à l’humain d’être plus humble, plus juste et globalement meilleur. Donc la pratique de l’équitation ne va pas s’arrêter. Je souhaite que les manifestations sportives repartent le plus rapidement possible, de même pour le marché, et nous serons évidemment présents aux côtés des événements afin de les aider à boucler leur budget de manière à ce que nous puissions tous vivre notre passion. 

Lors d’un précédent entretien avec Caroline di Stefano, directrice générale de la Laiterie de Montaigu, qui sponsorise également de nombreux événements, celle-ci a dressé deux tableaux différents sur le sujet. Elle faisait la différence entre les entreprises extérieures au secteur équestre, qui auraient moins de mal à relancer leurs activités car beaucoup ont pu les poursuivre un petit peu, et les entreprises internes comme la vôtre, qui ont sûrement souffert de l’annulation des concours ainsi que de la fermeture des magasins spécialisés et des centres équestres, et qui auront donc plus de difficultés à repartir rapidement. Qu’en pensez-vous?

Elle a évidemment raison, tous les acteurs économiques n’auront pas vécu la crise de la même façon. Des secteurs sont plus touchés que d’autres, et le secteur équestre a été bien plus touché que celui de l'agroalimentaire. Nous avons beaucoup de partenaires qui souffrent énormément, et nous-mêmes traversons une situation difficile. Je ne veux pas être alarmiste car nous avons toujours fait preuve d’une gestion sérieuse et efficace. Nos entreprises passeront au travers de cette crise et seront encore présentes dans dix ans et nous regardons déjà vers le futur. Nous allons essayer d’être le plus efficace possible, à l’écoute de l’ensemble de nos clients et de reprendre une activité économique normale. Dans le cadre de notre stratégie, nous serons sûrement aussi de plus en plus exigeants et vigilants vis-à-vis des événements que nous aidons et de leur impact environnemental.