“Le sport ne s’achète pas”, Laurent Elias
Champion de France, sélectionneur de l’équipe de France, directeur du haut-niveau à l’Institut français du cheval et de l’équitation, Laurent Elias a connu un parcours extrêmement riche. Désormais installé dans l’Oise, non loin de Compiègne, ce passionné anime des stages en partenariat avec la Société hippique française (SHF) afin d’aider à la formation des cracks de demain. Éminemment attaché à son sport, le Tricolore ne manque pas d’idées pour surmonter la crise liée à la pandémie de Covid-19 et voit l’avenir avec positivité. Entretien.
Le confinement touchera à sa fin demain, lundi 11 mai. Comment avez-vous géré cette situation particulière ?
Avec le confinement, toutes mes activités de stage et de coaching ont été interrompues. Par contre, j’avais encore deux chevaux sous ma responsabilité, que j’ai continué à monter. J’ai eu quelques difficultés malgré tout : j’ai été obligé de déplacer mes montures. Il y a eu un peu de flou concernant les consignes données par la Fédération Française d’Équitation et la gendarmerie m’avait dit que j’étais un propriétaire. Or, je ne me considère pas comme un propriétaire lambda : je suis professionnel du cheval depuis maintenant quarante-cinq ans et c’est avant tout mon métier.
Comme il s’agit de chevaux de valeur, il n’était pas question que je les confie à des gens qui n’avaient pas la compétence ni le temps de s’en occuper. J’ai donc trouvé une écurie privée, à cinquante kilomètres de chez moi, chez Bruno Lechevalier (ancien cavalier des Haras Nationaux, ndlr) à Borest, près de Senlis. C’était un petit peu dommage car j’étais à dix minutes de chez moi à vélo avec des conditions qui m’allaient parfaitement. Le côté positif c’est que j’ai trouvé une très bonne structure, où les chevaux sont très bien soignés. Tout est parfaitement entretenu, dans un environnement calme. C’est la première fois depuis vingt ans que je mettais mes chevaux hors de chez moi et où j’avais autant confiance.
Comment appréhendez-vous le retour à la liberté pour le milieu équestre ?
Cela fait un petit moment que je fais passer des messages. Je pense que le déconfinement des professionnels, et notamment pour les jeunes chevaux, ne devait pas être très compliqué à mettre en place. S’il y a bien un endroit où on respecte naturellement la distanciation sociale, c’est à cheval ! Se retrouver à moins d’un mètre d’une personne, à moins d’être deux sur le même cheval, je ne vois pas comment c’est possible. Organiser les reconnaissances de façon à ce que les gens ne soient pas à moins d’un mètre les uns des autres n’est pas un problème non plus. Le seul endroit où il faudrait faire un peu plus attention, ce serait à l’échauffement, en portant des gants, en se lavant les mains. Entre professionnels, la remise en route des chevaux est, selon moi, assez simple à réaliser.
Avez-vous des idées pour permettre une reprise des concours ?
Une année perdue pour la formation d’un jeune cheval n’est pas négligeable. Autant on peut imaginer qu’ils travaillent à la maison, mais la finition se fait en piste. Ils ont besoin de voir des parcours dans différents univers. Et la seule chose qu’il faille régler c’est la promiscuité. Habituellement, il peut y avoir jusqu’à cinq-cents chevaux sur les compétitions. En réduisant le nombre de chevaux présents sur place, en fonction de chaque installation, et en organisant les concours sur quatre ou cinq jours, on aurait la certitude de pouvoir assurer les mesures de sécurité. Au moins, tous les cavaliers pourraient sortir leurs jeunes chevaux. Et on peut aussi décliner cela sur les chevaux d’âge. J’en ai discuté avec des gens qui ont des structures de compétition, ils trouvaient l’idée vraiment juste. Il y va de notre survie de continuer à faire progresser les chevaux et les valoriser, et il y va de la leur de faire fonctionner leurs structures. Les courses vont reprendre dès lundi. Lors de ces réunions, il y a toujours cinquante, soixante, chevaux qui sont plus proches les uns des autres que dans l’univers du concours.
On pourrait continuer à valoriser les chevaux comme ils le méritent, à des âges où cela est crucial pour leur valorisation et leur expérience. Au-delà de cela, on peut, de la même façon, penser des systèmes de concours pour les chevaux d’âge, qui ont, eux aussi, besoin d’entraînements en situation.
“Je reste l’un des premiers fans de l’équipe de France”
La SHF a publié hier un communiqué annonçant une reprise des épreuves réservées aux jeunes chevaux fin mai avant de le retirer de son site internet. Avez-vous plus de précisions sur ce point ?
J’aurais certainement des précisions lundi (11 mai, ndlr). J’ai un peu été à l'initiative de la demande pour la reprise des concours jeunes chevaux. J’avais sondé les professionnels via les réseaux sociaux. Je pense que la proposition de la SHF est réaliste. Maintenant, je ne sais pas ce qui les a poussés à faire machine arrière. Est-ce qu’il y a eu une consigne gouvernementale ou ministérielle qui leur a fait retirer leur écrit ? Il est nécessaire pour la filière, pour les professionnels, la cavalerie et les organisateurs de concours, de reprendre cette activité. Plutôt que de développer des cagnottes pour ces structures, autant réfléchir à la façon de les faire fonctionner dans le respect des règles qui sont fixées.
De la même façon que les professionnels étaient entre eux dans les écuries, quand ils sont regroupés, par écurie, dans une structure de concours, je ne vois pas où est la différence. Les cavaliers qui vont sortir leurs quelques chevaux entre eux, dans la journée, je ne vois pas de problème. Nous ne sommes pas réellement dans une situation à risque. Et surtout, cela n’empêche pas de porter des masques, des gants, et d’utiliser du gel hydroalcoolique. Tout cela, il est possible de le respecter avec des gens responsables.
La finale de Fontainebleau pourrait être décalée à fin septembre. Que pensez-vous de ce report ?
Cette décision me paraît complètement légitime. J’avais imaginé que cela puisse même aller jusqu’à octobre. Une saison de jeunes chevaux est difficile à juger avec un mois de différence. Nous aurons deux mois minimum de décalage pour la reprise, si ce n’est plus. Après c’est une histoire de logistique, d’intendance, en fonction du nombre de chevaux présents. Je pense qu’il est raisonnable d’imaginer que la finale se tienne plus tard. Il faut aussi prendre en compte les conditions climatiques à cette période. Les chevaux doivent être accueillis au mieux. Probablement que le petit parquet pourra servir si l’herbe n’est pas praticable. Un report de la finale permettrait d’avoir une saison qui soit un reflet plus exact des performances des jeunes chevaux.
Vous avez été sélectionneur des Bleus de 2003 à 2010. Quel regard portez-vous désormais sur l’équipe de France ?
Je reste l’un de ses premiers fans. Ce qui m’a vraiment animé dans le grand sport, c’est l’esprit d’équipe. À l’époque, j’ai remanié l’équipe de France afin de pouvoir compter sur des cavaliers nouveaux, motivés et prêts à mouiller le maillot. Le sport devient beau lorsque le collectif l’est aussi.
J’ai appris avec désolation l’arrêt de toutes les compétitions, bien que je le comprenne. Il y a des enjeux sanitaires qui dépassent la filière économique et le sport. Nous pratiquons une activité qui, malgré tout, est plutôt privilégiée, bien que cela reste difficile. On dit souvent qu’il s’agit d’un sport de riche pratiqué par des pauvres. C’est un peu exagéré, mais il ne faut pas croire que tous les professionnels sont riches. Ce sont avant tout d’énormes travailleurs. J’ai beaucoup d’admiration pour les gens de l’équipe de France et ceux que j’ai accompagnés à leurs débuts, que ce soit Pénélope Leprevost ou Kevin Staut. Nous avons fait des gros championnats ensemble et j’ai énormément de respect pour leur investissement. Je trouve que la situation est très dure pour eux. Les saisons se planifient à l’avance. J’espère qu’on ne laissera pas trop de cavaliers sur la route car je pense que certaines comptabilités auront du mal à tenir après cette période difficile. J’espère aussi que notre équipe de France se remettra convenablement de cet épisode. J’ai une vision plutôt optimiste et courageuse des choses en général. Je pense que quand on se retrousse les manches, on doit retrouver le niveau qu’on avait avant.
Quelles seront les conséquences du report des Jeux Olympique de Tokyo à 2021 ? Cela permettra-t-il à certains cavaliers de laisser mûrir leurs chevaux ?
Les Jeux Olympiques étaient déjà programmés bien en amont. Les Jeux de 2021 ne seront pas ceux de 2020. Les champions ne seront pas les mêmes. Le vieillissement des chevaux va avoir une incidence et nous n’aurons pas obligatoirement les mêmes chevaux. Il y avait des montures qui étaient à un âge charnière, dans un sens comme dans l’autre. Soit trop jeunes, soit presque trop vieilles. Certains chevaux vont disparaître, d’autres vont émerger. Le mercato sera aussi très différent. Je ne sais pas si les règles vont changer, mais, théoriquement, les chevaux peuvent être acquis d’ici au 31 décembre. Je connais plusieurs personnes, dans des nations émergentes, qui n’avaient pas pu acheter les chevaux qu’ils voulaient. Ils ont maintenant encore six ou sept mois pour le faire. Mais ce report aura forcément un impact sur la performance des équipes et sur le choix des chevaux.
“J’ai parfois l’impression que les choses vont trop vite”
Certains cavaliers de haut-niveau ont-ils déjà fait appel à vous en prévision du déconfinement, afin de préparer un retour sur les terrains de concours ?
Je ne suis plus tellement dans le très haut-niveau. J’avais une cavalière jordanienne qui était qualifiée pour la finale de la Coupe du monde à Las Vegas. Je l’avais accompagnée au Moyen-Orient et l’annulation des finales a été une très grosse déception. Se qualifier pour cette échéance n’est pas simple. Je lui avais fait acheter un cheval en France il y a deux ans, et en quinze mois de temps avec elle, il a vraiment dépassé le niveau que l’on imaginait au départ. C’est difficile après de se reprogrammer pour l’année suivante. L’histoire n’est pas écrite pour l’an prochain. Je fais aussi travailler de temps en temps quelques cavaliers qui font des épreuves importantes. Mais je pense que je suis plus un découvreur de talents. Je n’ai pas la disponibilité pour me consacrer pleinement au haut-niveau. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai arrêté. Dans ce monde là, il faut être présent tout le temps. Je pense que mon travail est beaucoup plus utile dans la préparation des chevaux, dans leur mise au point, que dans l’accompagnement systématique en compétitions. Les cavaliers en piste sont seuls. Bien sûr, il est important de régler leurs plannings, leurs détentes et de leur donner de la confiance. Mais ma vocation aujourd’hui, je l’imagine plus dans la préparation des chevaux et des athlètes.
Vous avez connu un parcours extrêmement riche dans le monde équestre. Quels sont vos prochains objectifs ?
J’avance au fil du temps. Mes objectifs seraient d’avoir un cheval à moi qui puisse éventuellement participer à des épreuves majeures. J’ai une jument dans laquelle je crois beaucoup. Elle a, je pense, des qualités assez étonnantes. Après, je suis toujours passionné de chevaux. J’ai beaucoup de plaisir à accompagner le travail de la fabrication des nouveaux chevaux et des nouveaux couples. Ce n’est pas que le niveau intrinsèque des gens qui m’intéresse, c’est leur souhait d’investissement. Je n’ai pas de problème à faire travailler des gens qui sautent 1,20m, 1,30m, tant qu’ils ont la volonté de devenir des champions un jour, ou en tout cas, qu’ils ont cette passion du cheval qui les fait avancer.
Quel regard portez-vous sur votre sport en général ?
Dans le sport de très haut niveau, il y a des choses qui me plaisent énormément, des cavaliers que j’adore. Je pense qu’il y a toujours des gens très respectueux de leurs chevaux, qui sont de grands travailleurs. Et puis il y a des choses qui me déplaisent, avec des gens qui sont des exploiteurs, qui ne respectent pas les chevaux. Je n’ai jamais aimé, et je n’aimerai jamais cela. Je suis content de voir Steve Guerdat ou Kevin Staut se battre pour les valeurs de leur sport. Le sport ne s’achète pas. Nous avons besoin d’argent, certes, mais cela ne doit pas mettre sur la touche nos sportifs. Heureusement, je pense que les bons professionnels sont plus nombreux que les médiocres. Mais je préfère accompagner des personnes qui croient au fait que l’on amène un cheval en respectant le temps dont il a besoin pour mûrir. J’ai parfois l’impression que les choses vont trop vite. Je vois des chevaux jeunes, arriver à un niveau de concours très important, puis disparaître deux ans plus tard. J’ai le souvenir de chevaux qui faisaient des carrière de huit ou dix ans au plus haut niveau. On peut citer Baloubet du Rouet avec Rodrigo Pessoa, par exemple. Nelson Pessoa et son fils sont des références. À l’époque, on ne consommait pas le cheval. On faisait de l’équitation pour faire du grand sport, mais dans le respect de l’être-vivant. J’espère sincèrement que l’on ne va pas utiliser les chevaux comme des machines, parce que ce n’est pas le sport que j’aime.