“D’ici les JO, j’espère que cette pandémie sera derrière nous”, Dominique Mégret
Depuis la décision radicale de la Fédération équestre internationale d’annuler les prochains championnats d’Europe de saut d’obstacles, qui devaient se dérouler du 23 au 29 août 2021 à Budapest, en Hongrie, on a beaucoup sondé les cavaliers, entraîneurs et chefs d’équipes. Jusqu’à présent, on avait moins entendu les propriétaires, privés eux aussi de grand sport depuis le début du confinement décrété pour endiguer la pandémie de Covid-19, mi-mars. Dominique Mégret, président du Club des propriétaires de chevaux de jumping (Jumping Owners Club), livre une analyse assez pondérée de la situation. L’homme d’affaires et époux de Geneviève Mégret, à la tête du haras normand de Clarbec, évoque également les Jeux olympiques de Tokyo, la reprise des concours Jeunes Chevaux et le monde équestre d’après-Covid-19.
Comment avez-vous accueilli l’annulation des prochains championnats d’Europe de saut d’obstacles, liée au report des Jeux olympiques de Tokyo à l’été 2021?
C’est une très grande déception. Nous aurions évidemment préféré que ces championnats soient maintenus, même en année olympique. C’était d’autant plus souhaitable qu’il n’y aura que trois couples titulaires plus un remplaçant par équipe aux Jeux olympiques (contre quatre plus un jusqu’aux JO de Rio 2016, ndlr) et que nous ne sommes pas encore certains que ceux-ci puissent se tenir. Le nombre de couples européens concernés par les JO restera relativement faible (trente équipiers titulaires plus sept individuels, soit trente-sept, contre trente-huit en 2016, ndlr) par rapport au nombre de ceux concernés par d’éventuels championnats d’Europe (ils étaient soixante-dix l’an passé à Rotterdam et quatre-vingts en 2017 à Göteborg, ndlr). Ce rendez-vous européen offrait donc l’opportunité d’accroître le nombre de cavaliers et chevaux pouvant prétendre à l’un de ces deux grands rendez-vous. Certains auraient d’ailleurs pu participer aux deux si l’on avait réussi à trouver pour les championnats d’Europe des dates suffisamment éloignées de celles des Jeux.
Pour autant, même si nous la regrettons, il faut essayer de comprendre les raisons qui ont motivé cette décision de la Fédération équestre internationale (FEI). D’abord, dès l’annonce du report des JO à l’été 2021, je comprends qu’elle a contacté les organisateurs hongrois pour essayer de reprogrammer les Européens. Hélas, il me semble que cela n’a pas été possible pour eux, et je comprends aussi qu’ils ne souhaitaient plus s’engager sur des championnats d’Europe disputés la même année que les JO. Ensuite, je crois que la FEI a essayé de trouver un autre organisateur capable d’orchestrer ce sommet à une autre date, mais cela n’a pas été possible non plus, ce qui s’explique sûrement par la peur de la concurrence des Jeux, le court délai et le climat financier incertain dans lequel évoluent les fédérations et les organisateurs. Il faut rappeler que ces championnats sont plus souvent déficitaires que bénéficiaires… Enfin, je crois que certaines fédérations ayant qualifié leur équipe pour les JO craignaient de ne pas pouvoir présenter aux Européens un collectif à la hauteur de l’enjeu, ce qui aurait posé d’autres problèmes.
À l’annonce de cette annulation, j’ai contacté la FEI. Sur la forme, celle-ci aurait peut-être pu communiquer de façon plus complète sur les raisons de cette décision. Il est vrai que notre Club n’a pas été consulté. En revanche, le comité technique de saut d’obstacles, au sein duquel nous ne sommes pas représentés a été saisi (les cavaliers y sont représentés par le Brésilien Pedro Veniss, nommé en mars par le conseil d’administration de la FEI, et les chefs d’équipes par le Suédois Henrik Ankarcrona, ndlr). En revanche, je crois qu’on ne peut pas reprocher grand-chose à la FEI sur le fond. Évidemment, en cas d’annulation des Jeux, on court désormais le risque de vivre deux années consécutives sans grand rendez-vous, ce qui serait une petite catastrophe pour notre sport, mais il faut espérer que ce ne sera pas le cas, que cette pandémie soit derrière nous ou au moins que les médecins trouveront au plus vite un vaccin ou un traitement efficace contre cette maladie. Par ailleurs, il me semble que la Fédération équestre européenne a été saisie du sujet, ce qui laisse encore espérer qu’une solution alternative puisse être trouvée.
Comme vous l’avez rappelé, la tenue des JO à l’été 2021 demeure relativement hypothétique. Cette semaine, le Comité international olympique et les organisateurs japonais ont évoqué la possibilité que les épreuves se tiennent à huis clos. Cela vous semble-t-il vraisemblable?
À titre personnel, j’ai du mal à imaginer une telle perspective, et je pense que tout doit être fait pour l’empêcher. D’ici juillet 2021, beaucoup de choses peuvent se passer, et il faut rester optimiste. Sans public, le sport en général, et le nôtre en particulier, n’a plus la même saveur d’échange et de partage. Pour autant, quand on a la chance d’être sélectionné pour les JO, même si ceux-ci devaient se disputer à huis clos pour la première fois de leur histoire, on y va et on donne le meilleur de soi-même dans l’espoir de remporter un titre ou des médailles.
“Un an compte plus dans la vie d’un cheval que dans celle d’un humain”
Comment accueillez-vous la reprise du Cycle classique des Jeunes Chevaux, prévue en début de semaine prochaine à Saint-Lô, Deauville, Barbaste et Cluny, mais déjà reportée à Verquigneul, commune située en zone rouge?
C’est un premier pas très important et attendu. Comme nous travaillons avec des êtres vivants, nous pouvons très difficilement réduire nos coûts, si bien que les structures équestres de toute nature subissent de plein fouet les conséquences du confinement. Quelque part, on peut se demander si ce n’est pas encore plus difficile pour notre filière que pour les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, par exemple. Il faut donc saluer les efforts de la Société hippique française (SHF) pour redémarrer ses activités, à l’image de ce qui se passe ailleurs. Il est très important que notre économie sorte de l’inertie totale dans laquelle elle se trouve depuis plus de deux mois, sinon la France va au-devant de difficultés encore plus grandes que celles qu’elle affronte déjà. Pour autant, ce ne sera pas simple compte tenu des protocoles sanitaires et notamment de la limitation du nombre de personnes admises sur les terrains de concours. Par exemple, on n’a droit qu’à un cavalier et un groom pour quatre chevaux… Il faut s’adapter en espérant que l’ouverture se poursuivra dans les semaines à venir.
En ce qui concerne les jeunes chevaux, je soutiens évidemment la position que mon épouse a exprimée (Geneviève, membre du comité exécutif de la SHF et du conseil d’administration du Stud-book Selle Français, ndlr) sur la mise en place d’un nouveau circuit hivernal. Celui-ci devrait voir le jour en fin d’année à l’échelle de la Normandie. Cela permettra peut-être de rattraper le retard pris au printemps. Et si elle s’avère profitable à la filière, cette initiative pourrait être pérennisée, à l’image de ce qui se fait en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas.
De même, j’espère que les concours nationaux pourront bientôt reprendre (il faudra pour cela attendre les directives du ministère des Sports pour la deuxième étape du déconfinement, qui débutera le 2 juin, ndlr). Concernant les internationaux, je croise les doigts pour l’automne et peut-être la toute fin de l’été. Quand on voit qu’une première étape de la Ligue d’Europe de l’Ouest de la Coupe du monde Longines a déjà été annulée (celle de Madrid, qui devait se tenir fin novembre, ndlr), cela n’encourage guère à l’optimisme, mais il faut tout de même espérer que le haut niveau pourra redémarrer sans trop attendre et que nos chevaux ne vivront pas une année blanche.
Finalement, même si leur horloge biologique ne s’est pas arrêtée, le confinement n’aura-t-il pas aussi de bons côtés pour les chevaux?
Cela dépend des cas. Il est clair que les chevaux de haut niveau sont soumis à un niveau non négligeable de stress, lié à la compétition et plus encore aux transports et aux changements d’environnement. C’est pourquoi, au haras de Clarbec, nous faisons tout pour préserver les nôtres lorsque nous établissons leurs programmes de concours. Raisonnablement géré, un cheval sain peut vivre une longue et belle carrière. C’est notre objectif depuis toujours, même si l’on n’est jamais à l’abri des aléas avec les chevaux. Dans ce cadre, le confinement et le déconfinement très progressif que nous vivons imposent une longue trêve en termes de compétition. Celle-ci peut s’avérer bénéfique à ceux qui avaient la santé fragile, à ceux qui étaient un peu fatigués par une saison indoor intense ou encore à ceux dont les cavaliers avaient besoin de parfaire le dressage. En revanche, quel que soit leur état de forme, ils vieillissent, et un an compte plus dans la vie d’un cheval que dans celle d’un humain. Aussi, il n’est pas du tout certain que cette période sans concours allonge d’autant la durée de leur carrière…
À quoi pourrait ressembler le monde équestre d’après-Covid-19 ? Beaucoup de propriétaires étant des entrepreneurs, dont les activités auront été plus ou moins impactées par ce coup d’arrêt brutal de l’économie mondiale, ne craignez-vous pas une crise des vocations à moyen terme?
Il existe plusieurs types de propriétaires: éleveurs, cavaliers, marchands, investisseurs et propriétaires au sens strict du terme, tel que notre club les définit. Effectivement, ceux-ci sont généralement des gens qui ne vivent pas du cheval mais qui ont – ou ont eu – d’autres activités professionnelles. Pour la plupart, ce sont de grands passionnés très investis qui achètent et conservent des chevaux pour l’amour de cet animal et le plaisir du sport, et qui soutiennent un ou plusieurs cavaliers dans leurs projets sportifs. Pour cette catégorie de propriétaires, je ne nourris pas trop de craintes. L’économie fluctue. Actuellement, elle est à genoux, ce qui est très désagréable. Tous les patrimoines ont mécaniquement fondu ces derniers mois en raison de la crise économique dans laquelle nous sommes à l’heure actuelle, mais cela ne sera pas éternel. En Amérique, au Moyen-Orient et en Asie, je ne pense pas que cela soit de nature à réduire outre mesure les niveaux d’investissement. En Europe, il y a un plus grand nombre de propriétaires, dont la plupart ne sont pas richissimes, mais ceux-ci sont prêts à faire beaucoup d’efforts pour leur passion.
Je m’interroge davantage pour l’avenir de notre sport. Allons-nous assister à un resserrement géographique de notre horizon? Considère-t-on normal de faire voyager nos chevaux en avion aux quatre coins du monde dans un contexte de réchauffement climatique, alors que l’Europe regorge de beaux terrains de concours? Ce sont des questions de société auxquelles nous devrons répondre. De même, on peut s’interroger sur la continuité et le niveau d’engagement des sponsors de notre discipline. Je reste optimiste, mais ces questions me semblent légitimes.