Jean-Marie Denoix, le cheval sous toutes les coutures

“Le cheval ne parle pas, mais si l’on sait l’observer, c’est un grand bavard“, disait Jean-Louis Brochet, maréchal-ferrant de renom avec lequel a longtemps collaboré Jean-Marie Denoix. Spécialiste mondial du système musculo-squelettique équin, cet éminent vétérinaire, fondateur du CIRALE et président de la Société internationale des pathologies locomotrices équines, ne manque jamais une occasion de partager son savoir.



Pour avoir une idée du travail de Jean-Marie Denoix, et comprendre pourquoi ce vétérinaire français est devenu le plus éminent anatomiste du système musculo-squelettique équin au monde, il suffit de regarder sa conférence intitulée “La biomécanique du cheval de sport (basée sur l’analyse d’images à très haute fréquence)“ et enregistrée en 2012 à Paris, à l’occasion des Équirencontres. Cette présentation symbolise parfaitement les trois activités principales du Centre d’imagerie et de recherche sur les affections locomotrices équines (CIRALE), fondé par le professeur en 1999 à trente kilomètres à l’est de Caen : recherche, diagnostic et enseignement. Debout derrière son ordinateur portable - on l’imaginerait presque au milieu de ses étudiants à l’institut de Goustranville, rattaché à l’École nationale vétérinaire d’Alfort - le désormais sexagénaire se lance dans une explication fascinante sur la biomécanique du cheval au travail, c’est-à-dire sur les pressions exercées sur leurs articulations, muscles, tendons et os. 

Pour illustrer ses propos, il passe au ralenti les extraits de vidéos filmées lors de compétitions organisées en France et aux États-Unis. "Ce qui m’intéresse, puisque je m’intéresse surtout à la pathologie locomotrice, c’est de voir comment les chevaux se déplacent et quelles contraintes ils subissent“, explique le chercheur et auteur primé. Alors que les chevaux de toutes disciplines caracolent, sprintent et planent à travers son écran, Jean-Marie Denoix met en évidence les points vulnérables de leurs membres et les différentes parties du corps engagées : “Voyez ici la protraction (l’extension, ndlr) de l’épaule. Regardez sur les postérieurs, les flexions articulaires. Visualisez sa mécanique antérieure : l’amplitude des foulées pour couvrir le terrain, l’extension du coude, l’extension de l’épaule.“ Plus tard, le vétérinaire constate “une hyper extension des boulets antérieurs et postérieurs“, aggravée par une mauvaise ferrure, sur un cheval d’endurance pourtant engagé dans une course de 160 km. Du fait, notamment, de sa collaboration avec le regretté maréchal-ferrant orthopédique Jean-Louis Brochet, il est particulièrement attaché à la ferrure.



Cavalier... et artiste!

S’il connaît les chevaux sous toutes les coutures, Jean-Marie Denoix a pourtant grandi entouré de… vaches à Bonnevent, un village situé près de Besançon en Haute-Saône. Sa vocation lui vient du docteur Duroy, un voisin médecin et fan de concours complet. Vite passionné par les chevaux, Jean-Marie étudie alors à l’École vétérinaire de Lyon, se spécialisant en imagerie du cheval. En 1994, alors qu’il enseignait à celle de Maisons-Alfort, un cadre du conseil régional de Basse-Normandie lui propose un deal difficile à refuser : “Nous avons 18 millions de francs à consacrer à la recherche de pointe sur le cheval. Cela vous intéresse ?“ Anecdote racontée dans un article paru en 2014 dans les colonnes de Ouest-France. 

Ce projet aboutit à la naissance du CIRALE, qui ouvre ses portes en 1999. Depuis, Jean-Marie Denoix a travaillé avec des milliers de chevaux à travers le monde, et organisé des stages pour des visiteurs internationaux sur des sujets tels que les techniques de l’échographie. Le centre est équipé d’une technologie de pointe pour examiner les pathologies ostéoarticulaires et musculo-tendineuses de ses patients. Si la radiologie est la technique d’imagerie de choix pour le diagnostic des lésions osseuses et articulaires, l’échographie permet l’examen des tissus mous, notamment des tendons et ligaments, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) propose des vues en deux ou trois dimensions de l’intérieur du corps, et la scintigraphie repose sur l’injection intraveineuse d’un produit très faiblement radioactif. Le CIRALE dispose également d’un tapis roulant à grande vitesse et d’un manège permettant d’effectuer des examens à l’effort. 

Partenaire de recherche important du Pôle Hippolia, dédié à la filière équine, le CIRALE a été un pionnier dans l’utilisation des nouveaux outils d’imagerie. De son côté, le professeur a codirigé plusieurs thèses, dont celles intitulées “Analyse cinématique des troubles locomoteurs de chevaux de trot“ et “Analyse cinématique du saut du cheval d’obstacles“, tout en oeuvrant à la détection des boiteries des meilleurs chevaux du monde, notamment à l’occasion des Jeux équestres mondiaux. Néanmoins, “aucune technologie ne peut complètement remplacer un examen pratique“, souligne le vétérinaire dans un entretien accordé au magazine Sciences et Avenir. “Bien regarder le cheval est indispensable. L’imagerie ne trouve tout son intérêt qu’après un bon examen clinique.“ D’ici 2020, toute la section équine de Maisons- Alfort, école royale créée par Louis XV en 1765, devrait être transférée au CIRALE, donnant naissance à un campus de cent soixante-dix étudiants en Normandie. Dans cette région où le cheval est roi, Jean-Marie Denoix pratique le trot, mais sculpte aussi les animaux qu’il a côtoyés depuis des décennies, vendant certaines de ses oeuvres au profit de la recherche équine. Un moyen parfait de joindre l’agréable… à l’utile.