“Aucun cheval au monde ne doit se rendre compte qu’il est entraîné”, Luc Parisis
À presque vingt-six ans, Luc Parisis, traverse le monde pour transmettre sa passion à travers le programme du célèbre chuchoteur américain Pat Parelli. Comptant plus de cinq cents débourrages et deux cents stages, l’homme originaire de Picardie s’est installé il y a quelques années du côté de Vayssac, non loin de Montauban dans le Tarn-et-Garonne, pour vivre de sa passion. Entretien avec cet homme qui a fait siens les préceptes du horsemanship.
Comment définiriez-vous le horsemanship?
Ce mot est souvent mal compris. L’objectif est de développer toutes les compétences autant du cheval que de l’humain afin de créer un partenariat fiable fondé sur la relation avec le cheval.
Comment avez-vous connu cette discipline?
Tout d’abord, j’ai eu la chance d’avoir une mère passionnée de chevaux, sans en avoir eu elle-même. Tout petit, j’ai côtoyé beaucoup de chevaux. J’ai eu un parcours assez classique, montant dans plusieurs centre équestres. J’ai aussi disputé quelques petits concours mais rien d’extraordinaire. De mes douze à mes seize ans, l’équitation était presque une punition parce que je pensais que c’était un sport de filles. Or, je voulais faire un sport de garçons. Heureusement, ma mère m’a poussé à ne pas laisser tomber. À seize ans, j’ai décidé de devenir professionnel, parce que j’aimais être auprès des chevaux, sans vraiment savoir ce que je voulais exactement faire. Je me disais que je pourrais devenir palefrenier ou groom. Je me cherchais beaucoup. Je me suis lancé dans la formation au BEPA soigneur équin. Très rapidement, j’ai effectué plusieurs stages avec des passionnées qui m’ont fait découvrir une autre version des chevaux que je ne connaissais pas, comme l’entraînement. De fait, je ne connaissais que les tours de piste d’une heure le samedi. En entraînant les chevaux, j’ai découvert le débourrage. J’ai fait cela pendant deux ans, employant différentes méthodes, y compris certaines que je perçois aujourd’hui comme violentes, allant à l’encontre des chevaux, avec des outils ou des aides artificielles. J’étais persuadé d’en avoir besoin parce que je n’avais appris que de cette façon.
J’ai débuté un peu partout, pratiqué le dressage, le saut d’obstacles et l’endurance. J’ai aussi travaillé aux Haras nationaux. Je voulais découvrir toutes les facettes de l’équitation parce que je suis très curieux et passionné. J’ai effectué mon dernier stage en Aveyron, chez Pierre Maupas, qui pratiquait l’équitation western. J’ai été stupéfait parce que ce qu’avec je voyais de l’équitation western, je me disais cela faisait un peu plus garçon. Je crois que c’était ce qui me manquait. Il y avait quelque chose de particulier qui m’a séduit tout de suite.
C’est pourquoi j’ai décidé d’aller travailler auprès des meilleurs, aux Etats-Unis, pour apprendre les meilleurs choses. Pour autant, je n’étais qu’un petit Français de dix-huit ans avec un parcours scolaire chaotique, dyslexique, dysorthographique et inadapté au système scolaire. De fait, je ne parlais pas du tout anglais. La meilleure solution était de partir en Angleterre pendant un ou deux ans, parce que ce n’était pas très loin et que je pouvais rentrer rapidement en cas de souci. Une personne m’a parlé du centre Parelli, situé en Angleterre. Je suis allé me renseigner sur internet, et la première chose que j’ai vue était un cow-boy avec un super chapeau, une moustache, un jean et des bottes. J’ai contacté sur place James Robert, enseignant du programme Parelli et grand spécialiste de l’entraînement et du débourrage de chevaux. Celui-ci m’a proposé de venir un mois à l’essai.
Quand je suis arrivé, je crois qu’il était en train d’animer un stage de niveau 1, avec des enseignements très basiques. Je ne comprenais pas pourquoi il maniait son stick orange et des cordelettes. Il faisait des trucs bizarres. Pour moi, cela n’avait rien avoir avec l’équitation western. Ces gens parlaient de relation, de partenariat avec les chevaux. Cela se rapprochait de ce que l’on appelle aujourd’hui éthologie en France et qu’eux appellent horsemanship. Cela ne m’a pas du captivé du tout. À la fin de la séance, je me souviens avoir cherché sur mon téléphone comment lui dire en anglais que ce n’était pas ce que je cherchais, dès le premier jour. Il m’a répondu avec le premier mot que j’ai retenu en anglais: “Wait”! J’ai décidé de rester un mois, en me disant qu’au pire je progresserais en anglais. Il voulait que j’attende parce qu’un Pur-sang Arabe allait arriver pour être débourré, avec tous les clichés que l’on peut avoir sur cette race. Il s’agissait d’un mâle jugé incontrôlable. La propriétaire était une Anglaise de quatre-vingts ans qui n’avait jamais monté de sa vie. Elle rêvait d’avoir un cheval et n’a rien trouvé de mieux qu’acheter un Pur-sang Arabe de trois ans hyper compliqué. Le jour où il est arrivé, le camion bougeait dans tous les sens. Quand il est descendu il a pris la main du cavalier. J’ai un peu ri en me demandant comme il allait se débrouiller de ce cheval avec toutes ses méthodes bizarres – on m’avait appris qu’il fallait être dur et fort avec eux, montrer qui était le chef. En le regardant, j’ai peu à peu changé d’avis. Au bout de deux heures, quand j’ai vu un cheval qui n’avait jamais été monté en train de marcher, trotter et galoper, voire reculer alors qu’il n’y avait aucun contact dans les rênes, je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune soumission et ni aucun recours à la force ou à la peur. Ayant vu cela, j’ai estimé que je n’avais plus le droit de faire autrement. On aurait dit que le cheval n’était même pas au courant qu’il était en train d’être débourré tellement cela paraissait naturel. Quand j’ai vu cela, je me suis dit que j’avais bien fait d’attendre un petit peu, donc je suis allé le voir en lui disant que c’était ce que je voulais faire.
Nous débourrions environ seize chevaux par mois, en plus des chevaux compliqués qui ne se laissaient pas attraper, qui ne montaient pas dans le van oui qui ne se laissaient pas curer les pieds, brosser ou équiper. Je me rendais compte que chaque problème avait une solution, ce qui était passionnant. La plupart du temps, il s’agissait de solutions non imaginées. Il fallait voir la vie du point de vue du cheval pour la trouver, c’est-à-dire se mettre dans la peau du cheval, dans ses sabots et dans ses fers. Finalement, le fait que j’y soit en tant que jeune élève, avec un parcours chaotique, des professeurs qui ne croyaient plus en moi, disant que j’étais un bon à rien qui ne ferait rien de sa vie, m’a redonné de l’espoir. Je voyais tous ces chevaux avec des personnes qui disaient que l’on ne pourrait rien en faire, mais que l’on arrivait finalement à apprivoiser. Je me suis dit: « Si seulement j’avais eu la même chance que celle que l’on donne à ces chevaux.» Je suis donc devenu le professeur que j’aurais aimé avoir en tant qu’élève, mais pour les chevaux. Et c’est cela qui m’a passionné: comment puis-je faire dans ce monde pour réussir à aider et à transmettre tout ce que j’ai appris.
“Tout doit paraître facile pour le cheval”
Qu’avez-vous fait ensuite?
J’ai travaillé dans plusieurs écuries en Angleterre pour découvrir de nouvelles choses. Je suis allé dans un écurie pratiquant le horsemanship à l’entraînement. J’y ai appris cette phrase: aucun cheval au monde ne doit se rendre compte qu’il est entraîné. Cela voulait dire qu’il fallait essayer de trouver la limite du cheval, ne jamais la dépasser mais toujours la repousser. L’idée est de le faire naturellement sans qu’il ne se rende compte qu’il est entraîné. Tout doit paraître facile pour lui. En soit, ils sont capables d’effectuer à l’état naturel ce que nous leur demandons: marcher, trotter, galoper, sauter, se coucher, se cabrer, accélérer ou ralentir, etc. C’est passionnant.
Comment avez-vous rencontré Pat Parelli?
Je suis allé à sa rencontre en Floride, où je suis resté deux ans. J’ai passé beaucoup de temps avec lui et j’ai travaillé pour lui en débourrant et entraînant ses chevaux. Pour des problèmes de visa, je n’ai pas pu rester aux Etats-Unis. Je suis donc parti en Australie travailler pour lui. Là-bas, je suis resté six mois pour débourrer et faire travailler les chevaux. J’étais en quelque sorte à l’université à ce moment-là, car je n’étais pas encore professionnel. Je pratiquais, j’apprenais, je commettais des erreurs, que je comprenais et analysais dans le but de ne pas les reproduire et d’acquérir un maximum d’expérience. Ensuite, je suis retourné aux États-Unis à ses côtés pour finir mon apprentissage, puis je me suis dit que c’était le moment de devenir professionnel dans le but d’entraîner et de débourrer mais je voulais surtout enseigner aux humains. En fait je me suis découvert une passion pour l’enseignement et pas qu’au cheval.
Je suis retourné en France pour passer le BP EJPS à l’académie d’équitation professionnelle de western, à Chèzeneuve, près de Lyon – on ne peut pas trouver mieux en France. J’ai appris avec Pierre Valette, un grand maître de cette équitation. J’avais le choix entre le dressage, attelage, saut d’obstacles et western. Comme je n’avais pas envie de quitter mon jean, mes bottes, ni mon stetson, le choix a été vite fait. En un an là-bas, j’ai beaucoup appris sur l’entraînement des chevaux, mais surtout sur la pédagogie: l’entraînement des humains. C’était vraiment passionnant.
Après cela, je suis reparti dans le Colorado pour devenir professionnel du programme Parelli. Je voulais avoir le badge Parelli pour être autorisé à enseigner son programme. Cependant, je n’ai pas du tout suivi le cursus classique. Normalement, il faut passer quatre niveau, puis les meilleurs ont droit à des stages d’un mois, trois mois, puis six mois et enfin la chance de travailler avec Pat Parelli. Moi, j’ai directement travaillé avec lui. Normalement, le diplôme nous donne une première étoile, puis, au fil des années, on en obtient deux, trois et jusqu’à six. Ce diplôme permet seulement d’enseigner à l’humain. Enseigner aux chevaux requiert un autre diplôme, qui mène au statut horse developpement specialist. Pour avoir ce diplôme, il faut être instructeur 3*. Aujourd’hui, il y en a environ deux cents.
Quel relation entreteniez-vous avec Pat Parelli?
Je crois que j’étais un peu son protégé. Il avait vu en moi un jeune talentueux avec une expérience déjà grande. J’ai été très fier de l’avoir comme professeur, mais j’ai toujours fait en sorte qu’il soit fier de m’avoir comme élève. Nous avions cette relation particulière parce qu’il m’a beaucoup inspiré, ces qui est toujours le cas aujourd’hui. J’ai la chance d’avoir la moitié de son âge et qu’il m’ait enseigné tout ce qu’il a passé une vie à apprendre. Il a montré beaucoup de gentillesse et de bienveillance envers moi. Nous pensons de la même manière. Je pense que tout entraîneur est d’accord pour dire qu’il n’y a pas qu’une seule méthode pour entraîner un cheval. Il en va de même pour les humains, car chacun a sa propre personnalité et façon de comprendre les choses. En tant que pédagogue, je ne peux donc pas enseigner d’une seule façon. De ce fait, les gens sont persuadés que cela s’appelle la méthode Parelli, mais ce n’est pas cela. Le programme Parelli est conçu selon chaque humain ou chevaux. Cela ne s’appuie pas sur une technique mais davantage sur une philosophie.
Pat me disait: “Le problème, c’est quand tu es naturellement talentueux, donc tu ne comprends pas les personnes qui ne comprennent pas. Pour eux c’est naturel, c’est une évidence.” La plupart des maîtres de horsemanship, à l’image de Gary Hunt, étaient durs avec leur élèves. Il fallait être naturellement talentueux pour travailler avec eux. Pat, lui, s’est cassé la tête pour créer un programme pouvant amener à n’importe quel rêve toute personne de tout niveau, tout âge, et tout niveau d’expériences avec les chevaux avec tout cheval, de tout âge et quel que soit son passé. Il disait: “Dis-moi quel est ton rêve?” C’est un programme pour réaliser son rêve et qui donne de premiers résultats immédiats, ce qui m’a fasciné.
Après avoir passé mon diplôme pour obtenir ma première étoile, j’ai eu le grand honneur de recevoir le badge et le diplôme de “ horse developpement specialist ” des mains de Pat Parelli. Sur les deux mille cinq cents personnes ont reçu le diplôme dans le monde, dont deux cents encore en activité, je suis le plus jeune mais aussi le seul instructeur à avoir eu une étoile et ce diplôme en même temps. Le fait qu’il me dise “je te fais confiance” en me regardant dans les yeux fut très important pour moi.
“Il ne faut jamais sacrifier ses principes pour atteindre un objectif”
Vers où vous êtes-vous orienté une fois devenu professionnel?
Je suis retourné en France pour effectuer des démonstrations. J’aime beaucoup faire cela devant une grande foule, car j’aime partager ma passion, présenter les choses de façon drôle et un peu décalée. J’aime aussi me donner des défis, par exemple avec des chevaux qui n’ont jamais été montés ou qui ne rentrent pas dans un van, etc. Je fais alors le maximum dans une période d’une à deux heures. Quand je suis devenu professionnel, j’ai prêté serment de toujours mettre la relation avec les chevaux en premier. C’est-à-dire que même si le cheval ne veut pas monter dans le van et qu’il y a deux mille personnes qui me regardent et que je n’ai que deux heures, l’objectif pour moi n’est pas aussi important que la relation avec les chevaux. Je les aime et ce principe-là est bien plus important que tout autre objectif. De fait, il ne faut jamais sacrifier ses principes pour atteindre un objectif.
Quand on privilégie la relation, le cheval le comprend, le ressent et trouve de l’apaisement. En respectant ce principe, j’ai rencontré le succès. Effectuer des démonstrations dans des salons, débourrer des chevaux et finir debout dessus en une heure et demie m’a rendu populaire. Mais je donne aussi des cours et stages. Dans mon écurie, près de Montauban, j’ai reçu énormément de chevaux très difficiles, que nous avons ré-entraînés et ainsi de suite.
Désormais, je prends beaucoup plus de temps pour animer des stages, donner des cours et effectuer des démonstrations. Ce travail m’a donné l’occasion de beaucoup voyager, notamment en Tunisie, en Namibie, en Belgique et en Suisse. C’est un métier passionnant et j’ai la chance d’avoir beaucoup d’expérience à mon âge. Je le dois aussi à la sueur de mon front et aux échecs que j’ai pu vivre, car j’ai su en tirer le meilleur. Il faut toujours de se remettre en question.
Pourquoi travailler avec les chevaux ?
J’en ai eu envie très jeune, mais je ne saurais pas dire pourquoi. Mes parents ne travaillaient pas dans ce milieu. J’ai eu la chance qu’ils aient toujours voulu donner le plus de chances à leurs enfants, ce qui n’avait pas été le cas de ma mère. Je devais avoir dix ans la première fois qu’elle a pu pratiquer l’équitation, alors qu’elle avait toujours été passionnée par cet animal. Petit, j’étais hyperactif, et ma mère avait remarqué que mes troubles disparaissaient lorsque j’étais à cheval. J’ai trois frères et sœur, et je suis aujourd’hui le seul à travailler dans cet univers.
Au temps des reines et des rois, un prince demanda un jour à un roi: “Père, je veux devenir l’homme qui court le plus rapidement au monde. Le roi convoqua son armée pour trouver l’homme qui courait le plus vite, et ordonna à cette personne de perdre une course contre son fils, ou il coupa la tête. Et le prince remporta la compétition. Le roi en fit de même pour que son fils fût reconnu comme le meilleur à l’escrime, au tir à l’arc et à la natation. Un jour, le prince voulut être le meilleur cavalier du monde. Le roi trouva le meilleur cavalier, avec le plus beau cheval de la terre, et l’obligea à perdre. Le prince avait le meilleur équipement, avec des étriers et un mors en or. Au moment de la compétition, le prince mit un pied à l’étrier, monta sur le cheval, subit une ruade et tomba directement. Le prince se leva directement en disant au cheval: “Tu ne sais pas qui je suis?” Alors il remonta tout de suite en selle… et se fit directement éjecter à nouveau! Finalement, je crois que j’aime les chevaux parce qu’ils n’ont que faire de qui tu as été, es ou seras. Ce qui compte vraiment pour eux, c’est qui tu es à l’instant présent avec eux.
Comment faire la différence entre éthologie et horsemanship?
C’est très intéressant. De fait, on me qualifie très souvent d’éthologue alors que je ne le suis pas du tout. Pour moi, un éthologue aime s’asseoir et observer les chevaux pour analyser son comportement, et il n’a pas besoin de savoir monter. Mon travail, lui, consiste à dire merci aux éthologues d’avoir réalisé toutes ces études parce que je peux les utiliser pour faire travailler émotionnellement et mentalement, et pas seulement physiquement. J’aime aussi prendre le temps de les regarder pour essayer de déterminer comment je vais pouvoir établir un partenariat d’une façon naturelle, sans utiliser la peur, la force et la soumission. Le naturel, ce sont des choses innées, logiques ou spontanées, par exemple. Pour autant, cela ne veut pas dire que je n’utilise pas de matériel, au contraire. J’utilise mors, éperons, stick, et je n’ai rien contre tant qu’ils sont utilisés d’une façon naturelle.
Quel regard portez-vous sur les récentes affaires de maltraitance?
Malheureusement, j’ai souvent vu cela durant mon apprentissage. Disons que j’ai eu la chance de voir ce que je ne voulais pas faire ou ne jamais utiliser, notamment les outils qui servent à dominer et à soumettre le cheval par la peur, la force et la soumission. À mon avis, certains cavalier en arrivent là par manque de connaissances et de compétences. Avant, on ne voulait pas du tout montrer les choses. Aujourd’hui, on entre dans une phase où l’on veut les dénoncer. Et je trouve bien de dénoncer les violences envers les animaux. Il était temps.