Uliano Vezzani et Santiago Varela, deux maîtres de la mise en scène

L’un est le plus actif à haut niveau, officiant notamment dans la plupart des étapes du Longines Global Champions Tour, l’autre est sûrement le plus demandé dans les très grands rendez-vous, aussi bien en tant que chef de piste – il a notamment été choisi pour les prochains Jeux olympiques de Tokyo – que comme délégué technique. L’Italien Uliano Vezzani, soixante et un ans, et l’Espagnol Santiago Varela Ullastres, cinquante ans, sont les constructeurs de parcours les plus marquants depuis plusieurs années. Sensibles aux évolutions du saut d’obstacles, influant intrinsèquement sur leur métier, les deux Latins se sont prêtés au jeu de l’entretien croisé.



le tracé de la toute première finale mondiale des Coupes des nations, disputée en 2013 à Barcelone, et également gagnée par les “Vestes bleues”, rappelle de grands souvenirs à Santiago Varela.

le tracé de la toute première finale mondiale des Coupes des nations, disputée en 2013 à Barcelone, et également gagnée par les “Vestes bleues”, rappelle de grands souvenirs à Santiago Varela.

Quels sont les concours où vous préférez officier? 

Uliano Vezzani: Chaque concours est particulier. Je ne dis pas ça parce que je parle à un magazine français, mais j’adore travailler en France! Bordeaux est un fantastique concours indoor, dont les tribunes sont constamment remplies. Chaque année, ils essaient de rajouter des sièges! Chantilly a une superbe piste en herbe, Cannes, une ambiance très familiale, sans oublier le Paris Eiffel Jumping au pied de la tour Eiffel… De plus, en France, les équipes de bénévoles sont extraordinaires. On en parle peu, mais ils jouent un rôle essentiel. De fait, le succès d’un chef de piste ne tient pas seulement à un parcours, mais à un ensemble d’éléments. J’aime entretenir de bons rapports avec tout le monde. Notre milieu est tellement petit qu’il vaut toujours mieux nous entraider! Toutefois, le concours le plus spécial à mes yeux reste le CSIO5* de Rome, qui me procure tant d’émotions! J’ai commencé à y travailler au début des années 2000 après le départ de Marcello Mastronardi (chef de piste historique du concours, ndlr), qui avait lancé ma carrière. Sur cette piste de la Piazza di Siena, qui a retrouvé cette année son herbe d’antan, je ressens toujours quelque chose de particulier. 

Santiago Varela: Certains concours sont plus spéciaux à mes yeux, dont celui de Madrid. C’est ma maison, ma piste, et c’est toujours différent d’œuvrer chez soi! Évidemment, Barcelone a aussi une place spéciale dans mon cœur parce que j’y ai toujours travaillé. 

Quel est le parcours dont vous êtes le plus fier?

U.V.: Je n’ai pas l’habitude de regarder en arrière, et je me souviens plus souvent des choses qui n’ont pas très bien marché que de ce qui a fonctionné! Qu’il s’agisse du LGCT, des Longines Masters (où Uliano a officié en 2016 et 2017, ndlr), de la Coupe du monde, des CSIO ou des concours organisés par Stephex (à Knokke et Bruxelles, où il travaille depuis 2016, ndlr), les épreuves doivent marquer le public. 

S.V.: Je retiendrai ceux des championnats d’Europe de 2011 à Madrid et ceux de la finale des Coupes des nations en 2013 à Barcelone. Cette finale inaugurait un nouveau format et il y avait un grand suspense autour de cette édition… C’était mémorable! 

Ce travail requiert un lourd investissement humain. Comment trouvez-vous le temps de vivre en dehors des concours? 

U.V.: C’est une très bonne question! Ma vie est très bien comme elle est. Je suis chanceux d’avoir toujours mon épouse avec moi – elle m’accompagne à presque tous les concours et m’aide énormément. Je ne pourrais pas tout faire seul! Le plus difficile, ce sont les horaires, car les journées de travail sont longues et nous passons beaucoup de temps dans les transports. Mais la satisfaction reprend toujours le dessus, parce que j’aime mon métier. Si un jour je ne ressens plus ni désir ni passion, j’arrêterai, mais ce jour n’est pas encore arrivé! En dehors des chevaux, je suis passionné d’agriculture: j’adore la terre, les vignes et les tracteurs. J’aurais même pu choisir cette voie. Chez moi, il y a des arbres partout! (rires) 

S.V.: Je travaille vingt-cinq heures par jour! (rires) Je suis passionné de chevaux depuis très longtemps, mais j’ai besoin d’avoir une occupation plus «normale» à côté. C’est pourquoi je travaille dans un bureau, pour une entreprise (après avoir occupé plusieurs postes de cadre supérieur, il œuvre en tant que consultant indépendant depuis février 2017, ndlr). À l’instar des cavaliers, comme des journalistes d’ailleurs, qui travaillent énormément, j’arrive à dégager un peu de temps pour ma vie personnelle, mais j’aime vraiment ce que je fais! Quand j’étais étudiant, alors que les autres jeunes préféraient faire la fête, moi j’allais construire des parcours dès que je le pouvais. Je suis très heureux ainsi.

Uliano Vezzani à Knokke en 2015.

Uliano Vezzani à Knokke en 2015.

© Scoopdyga



Que préférez-vous dans votre métier? 

U.V.: Les chevaux! L’ouverture de la piste à la reconnaissance est également un moment important pour moi parce que je peux discuter avec les cavaliers. On échange sur le choix des foulées, les hauteurs, le dessin, etc. Le plus important est de savoir communiquer. J’ai la chance de pouvoir construire pour les meilleurs cavaliers et chevaux du monde. Raison de plus pour les respecter encore davantage! 

S.V.: J’aime quand les chevaux sautent bien! Je dois construire des parcours justes, ce qui est le plus difficile. Le cheval doit éprouver son équilibre et le cavalier, sa technique. Aujourd’hui, les chevaux sont meilleurs, les pilotes plus professionnels, et la notion de couple, plus forte. Nous devons davantage veiller au respect du cheval. Il ne faut jamais oublier que le contrat principal nous lie au cheval, et qu’on doit l’appliquer sans trucage! 

Quel regard portez-vous sur les évolutions récentes du saut d’obstacles?

U.V.: Tout a changé très vite et cela va continuer. Pour ma part, je trouve le sport actuel moins fatigant et plus agréable pour les chevaux. Les terrains sont de meilleure qualité et le matériel d’obstacles plus sécurisé. Je ne sais pas si c’est plus facile, mais c’est moins dangereux en tout cas. Autrefois, les chevaux pouvaient tomber et se fracturer un membre. Aujourd’hui, cela n’arrive heureusement quasiment plus! 

S.V.: Le sport a changé à toute vitesse ces vingt dernières années, peut-être trop vite ces derniers temps. Les chevaux ont énormément évolué, tout comme les concours. L’argent joue désormais une place très importante dans le sport. Nous devons tous réfléchir à ce que nous voulons pour le futur de notre discipline (c’est pourquoi l’Espagnol a intégré le comité de saut d’obstacles de la Fédération équestre internationale fin 2017, ndlr). L’argent ne peut pas tout contrôler. Nous devons maintenir le haut niveau et développer en même temps son attractivité. Il ne faut pas avoir à choisir entre les deux, il est indispensable de trouver le juste équilibre. Nous devons garder la tête froide et ne surtout pas oublier que le cheval est l’étoile de notre sport et qu’il faudra toujours le préserver. 

D’un point de vue technique, la construction des parcours semble s’être beaucoup renouvelée. Qu’en pensez-vous?

S.V.: Il n’est pas si facile de construire de bons parcours aujourd’hui parce que le niveau professionnel s’est accru au fil du temps. Ce qui reste constant, c’est qu’un parcours doit être harmonieux. Il faut un fil rouge: partir d’un concept et ne pas simplement aligner des obstacles. C’est donc plus compliqué mais bien plus excitant pour le chef de piste! 

Les parcours ont aussi changé visuellement, avec des décors de plus en plus originaux dans les grands rendez-vous. Y êtes-vous sensibles?

U.V.: Les décors sont devenus très importants, notamment pour les sponsors. Et sans eux, il n’y aurait pas de concours! Parfois, ce n’est pas si facile à gérer, parce que certains obstacles peuvent manquer de subtilité alors c’est à nous de les rendre plus techniques. Ainsi, c’est plus agréable à l’œil, notamment pour le public et les téléspectateurs. Pour autant, les décors jouent également un rôle sportif. Selon qu’on le place à droite, à gauche, devant ou derrière un obstacle, un simple pot de fleurs peut tout changer. Cela crée des particularités, tout comme les couleurs, qui captent l’attention des chevaux. 

Le modèle des chevaux, auparavant imposants et plutôt lourds, s’est considérablement allégé ces dernières décennies. Cela a-t-il changé votre manière de construire vos parcours?

S.V.: Bien sûr, et nous allons aussi devoir préparer l’après-2020, quand les guêtres postérieures seront interdites. Je pense que cela va changer beaucoup de choses. Sans ces aides, nous allons devoir modifier nos parcours et nous montrer très vigilants. Les chevaux pourront toujours sauter 1,60m, mais ils seront sûrement moins rapides et moins légers. 

Uliano, vous travaillez beaucoup pour le LGCT et donc la Global Champions League. Comment percevez-vous les nombreuses critiques émises à l’égard de ce circuit?

U.V.: Je trouve la formule de 2018 meilleure que celle de 2017. Nous devons ménager les chevaux. Cette année, le chef de piste peut changer de parcours entre la deuxième manche de la Global Champions League, qui est qualificative pour le Grand Prix, et le Grand Prix lui-même, tandis que les cavaliers peuvent changer de cheval si celui-ci montre des signes de fatigue. Nous devons être plus techniques et moins sévères au niveau des cotes ou des combinaisons. Quand je vois deux ou trois doubles, un triple, une barre de Spa et des lignes dures dans un Grand Prix, je trouve parfois que cela fait trop. Mais cela ne concerne pas que ce circuit! Un concours comme le CSIO5* d’Aix-la-Chapelle, par exemple, bien qu’il soit extraordinaire et que tout le monde l’aime, est bien plus éprouvant pour les chevaux parce que les cavaliers doivent courir toute la semaine après leur qualification pour le Grand Prix. Ce n’est que mon avis, mais je n’aime pas les concours trop fatigants pour les chevaux.

Santiago Varela lors de la finale de Coupe du monde à Bercy en 2018.

Santiago Varela lors de la finale de Coupe du monde à Bercy en 2018.



Le pourcentage de cavaliers invités à la discrétion des organisateurs de CSI, gratuitement ou moyennant finance, a également suscité de nombreux débats ces dernières années. En quoi cela influe-t-il sur votre travail? 

U.V.: Les cavaliers bénéficiant de wild-cards dans ces concours font preuve d’un bon niveau. Ce ne sont pas des cavaliers évoluant à 1,15m! Ils ne sont pas fous et savent de quoi ils sont capables. Sur le circuit du LGCT, par exemple, les cavaliers de cette catégorie sont rarement éliminés et il n’y a jamais eu de catastrophe. Fin 2016, l’Égyptien Abdel Saïd avait même remporté le Grand Prix CSI5*-W de Vérone alors qu’il avait bénéficié d’une invitation! Elles sont importantes et ne sont pas données au premier venu. C’est une possibilité d’élargir l’accès à notre sport. C’est exactement comme quand il y a plusieurs CSI5* programmés le même weekend. Cela permet à davantage de cavaliers d’évoluer à haut niveau, de gagner des points pour le classement mondial, d’engranger de l’expérience, etc. Et à la fin, c’est toujours le meilleur couple qui gagne! 

S.V.: Comme je le répète souvent, le sport doit rester au centre du jeu. Que les cavaliers paient ou non leur droit de concourir, si j’officie en CSI5*, je construis des parcours de niveau 5*, de même qu’aux niveaux inférieurs. Le système des étoiles a été créé afin de définir le niveau de difficulté d’un événement. Nous ne devons pas travailler en fonction du nombre de cavaliers capables de boucler une épreuve sans faute, c’est stupide. Le sport passe avant le spectacle. 

Des discussions ont également été entamées à propos d’une possible suppression de la rivière. Qu’en pensez-vous? 

U.V.: Sur une piste en herbe, la rivière doit rester. Le spectacle est magnifique, les chevaux la franchissent bien et elle permet de mettre en évidence la technicité d’un cavalier. Sur les pistes en sable, je pense que nous devons y réfléchir, car les chevaux ne sautent pas bien les rivières en plastique. Dès lors, nous devrions discuter de ce que nous pourrions modifier, notamment les obstacles qui la précèdent et la suivent. 

S.V.: Le principe de ce sport est aussi d’intégrer des éléments propres à l’environnement du cheval, notamment l’eau. La rivière doit donc demeurer un élément des parcours! C’est un obstacle comme les autres, même s’il est spécial. Il doit être bien placé, au même titre qu’un vertical, un oxer ou une combinaison. La difficulté n’est pas la rivière en elle-même, mais les obstacles qui la précèdent et la suivent parce qu’elle modifie l’équilibre du cheval. Si nous commençons avec la rivière, demain nous devrons enlever les barres de Spa, les combinaisons, etc. Et finalement tous les obstacles! Quand un cavalier monte un cheval qui n’a pas peur de la rivière, ces débats n’existent même pas. Il n’y a donc aucune raison technique de la retirer. 

Uliano, vous officiez dans beaucoup de CSI5*; les cavaliers, le public, les organisateurs et les observateurs plébiscitent généralement votre travail. Vous aviez aussi signé une très belle prestation en finale de la Coupe du monde, en 2013 à Göteborg, mais vous n’avez encore jamais construit de grands championnats. Comment expliquez-vous cette situation? 

U.V.: Honnêtement, c’est plus une question de politique que de sport. Je n’ai pas encore eu la satisfaction de pouvoir construire des Jeux olympiques ou un autre championnat, mais ce n’est pas grave, j’ai la chance de pouvoir dessiner des Grands Prix à 1,60m tous les dimanches. Je trouve d’ailleurs très bien que des chefs de piste locaux soient choisis pour construire dans leur pays. D’ailleurs, il y a de très bons chefs de piste en France et je trouve dommage qu’ils ne travaillent pas plus à l’étranger. 

Quel regard portez-vous sur le travail de votre confrère? 

U.V.: Je peux seulement parler ce que j’ai vu à la télévision, parce que je n’ai jamais eu le plaisir de travailler avec Santiago… Les cavaliers disent que nous sommes différents, c’est tout ce que je sais! (rires) Je pense que c’est très bien pour le sport, car il en faut pour tous les goûts. 

S.V.: Uliano est un excellent chef de piste, sans aucun doute. C’est un vrai technicien, très intelligent, et qui manifeste une vraie sensibilité. Il accomplit un travail formidable avec le Longines Global Champions Tour. Il est très difficile d’enchaîner des concours réunissant les mêmes cavaliers et chevaux et de parvenir à proposer quelque chose de différent à chaque fois. Le nombre de concours où il officie est invraisemblable!

-Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX hors série n°18 paru en juillet 2018.