“Trouver le sommeil les premières nuits après cette défaite à Genève a été difficile”, Rodrigo Pessoa

Durant tout l’été, GRANDPRIX retrace les succès et les défaites fondatrices de grandes carrières et qui ont marqué l’histoire des sports équestres. Cette semaine, retour avec Rodrigo Pessoa sur le “cauchemar” qu’il a vécu lors de la finale de la Coupe du monde de Genève, en 1996. Le Brésilien, alors en passe de remporter sa première finale avec Tomboy, accuse dix points de pénalités et se voit rétrogradé à la quatrième place…



21 avril 1996, sur la piste de Palexpo, à Genève. Avant la deuxième manche de la finale de la Coupe du monde, le Brésilien Rodrigo Pessoa est en tête des opérations, associé à Loro Piana Tomboy. Alors qu’il aborde cette dernière épreuve avec la confortable avance de deux fautes sur son plus proche concurrent et semble galoper vers la victoire, rien ne se passe comme prévu, la faute à un malheureux “concours de circonstances”, comme l’explique le cavalier. “Le dimanche, après la première manche de la finale, j’avais creusé l’écart. Tout se passait bien et nous avions réalisé un sans-faute dans la première manche. Pour le dernier tour, je suis le dernier à être entré en piste. J’étais conscient d’avoir de la marge pour gagner mais n’y pensais pas vraiment. Puis, au milieu du triple, Tomboy a fait une touchette.” Cette petite faute a ensuite eu des conséquences dramatiques. “À la sortie du triple, il fait un saut énorme qui m’a désarçonné. Il y avait ensuite quatre foulées assez courtes avant le vertical suivant. J’avais perdu mes rênes, je n’avais plus de contrôle et nous avons fait tomber la barre. L’obstacle suivant arrivait également très vite, il fallait tourner à gauche à 180°. Tomboy s’est mis de travers et a refusé de sauter.” Le couple sort finalement de piste avec dix points. “Mon avance s’est effondrée et j’ai reculé dans le classement, de la première à la quatrième place”, se remémore Rodrigo.

Pourtant, pour sa deuxième participation à une finale de la Coupe du monde, tout avait bien débuté pour le Brésilien, alors âgé de vingt-quatre ans. À l’époque, le règlement autorisait de participer à la finale avec deux chevaux. “J’avais participé à la Chasse avec Loro Piana Special Envoy, un cheval rapide. J’ai ensuite monté Tomboy les deux jours suivants.” Avec son partenaire des Jeux olympiques de Barcelone en 1992, il s’était classé deuxième de l’épreuve de vitesse, et avait ensuite pris la tête au classement général provisoire dès le lendemain grâce à Tomboy, un cheval de sport irlandais qui a marqué les années quatre-vingt-dix de son empreinte.



“C’est dramatique de perdre une finale de la Coupe du monde de cette façon”

Vrai crack, Tomboy n’en reste pas moins un cheval atypique. En effet, une blessure due à un accident dans sa jeunesse lui a conféré une manière de sauter différente des autres. “Il était très difficile de l’accompagner sur le saut. C’était particulier, en deux temps. Plus d’une fois je me suis fait désarçonner avec lui. Il était très respectueux et a eu une réaction très forte sur la sortie du triple après avoir touché cette palanque, et je ne m’y attendais pas. Cela m’a servi de leçon”, précise Rodrigo.

Ce retournement de situation lors du dernier parcours a marqué le Brésilien. “Quand on est jeune et qu’on est à une minute et demie de gagner une finale de la Coupe du monde, c’est dramatique de la perdre de cette façon”, explique-t-il. “C’était vraiment une catastrophe. Je me suis dit que plus jamais je n’aurais une chance comme cela de gagner une finale. À cet âge, on n’arrive pas à toujours à faire la part des choses. C’est sûr que pendant des mois, cela m’a hanté.” Le fils du légendaire Nelson Pessoa a été affecté par cette douloureuse défaite. “Avoir deux fautes d’avance, pouvoir gagner la finale, puis se faire désarçonner de cette manière… C’est vraiment un cauchemar. À la fin du parcours, j’ai pensé que ce n’était pas possible, que j’allais me réveiller et qu’il n’y aurait rien eu de tout cela, mais c’était malheureusement la réalité. Trouver le sommeil les premières nuits a été difficile (rires)!”, avoue-t-il. 

Une défaite qui a été formatrice et dont le Brésilien a tiré des enseignements. À l’été 1996, il est sélectionné avec Tomboy aux côtés de Doda de Miranda, Luiz Felipe de Azevedo et André Bier Gerdau Johannpeter pour représenter son pays aux Jeux olympiques d’Atlanta. Sans cette fameuse finale de Genève, l’Histoire aurait pu être bien différente. “À Atlanta, j’étais dans une situation similaire. Je suis rentré en dernier et je devais réaliser le sans-faute pour que l’équipe obtienne la médaille de bronze et vaincre les Français (Patrice Delaveau, Hervé Godignon, Alexandra Ledermann et Roger-Yves Bost, ndlr). Là, nous avons réussi à garder notre sang-froid et à ramener cette médaille”, détaille-t-il. ”Dans toutes les situations négatives il y a du positif à en retirer, ce fut vraiment le cas pour moi.”



“J’ai eu un beaucoup de succès sur le circuit après la défaite à Genève”

Malgré tout, le souvenir de ce concours à Genève a laissé quelques stigmates au cavalier, qui, volontairement, n’a pas voulu se qualifier pour la finale de la Coupe du monde l’année suivante. “Je ne voulais pas y retourner en tant que grand perdant de l’année précédente, avec tout le monde qui m’observerait pour savoir si j’allais cette fois réussir. J’ai donc fait l’impasse sur la finale en 1997.”

La suite, tout le monde la connaît. Rodrigo Pessoa, associé au génial Baloubet du Rouet, a remporté trois finales consécutives, en 1998 à Helsinki, puis à Göteborg l’année suivante et à Las Vegas en 2000, entrant dans la légende du sport. Avec son Selle Français, Rodrigo a également pris la deuxième place en 2001 et 2003, ainsi que la troisième en 2002… “À partir de 1998, j’ai repris goût à la finale de la Coupe du monde. J’ai eu un beaucoup de succès sur ce circuit après cette défaite à Genève. Mais je n’ai plus jamais eu de fautes d’avance pour gagner! Il me fallait toujours réaliser un sans-faute, ou alors j’avais deux ou quatre points d’avance… C’était toujours très serré, une barre et j’aurais dû aller au barrage pour disputer la victoire. Je n’ai plus jamais réussi à créer cette marge que j’avais eu à Genève pour arriver tranquillement en deuxième manche.” 

Tout en confirmant qu’“évidemment, la finale de la Coupe du monde de Genève a été marquante”, c’est avec philosophie que le Brésilien conclut: “Ce n’est que dans les défaites comme cela que l’on arrive à savourer les grandes victoires.”