Di Lampard, au service de la Grande-Bretagne
Ancienne cavalière de l’équipe britannique de saut d’obstacles, avec laquelle elle a décroché une médaille de bronze en 1998 aux Jeux équestres mondiaux de Rome, Di Lampard a succédé en février 2015 à Rob Hoekstra à la tête de cette même sélection. Dès le début, la mission a été de taille pour la première femme à occuper ce poste. Portrait.
Hickstead, août 2000. À quelques semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Sydney, les meilleurs cravaches britanniques se sont donné rendez-vous sous le soleil du Sussex pour une répétition générale. Di Lampard est engagée avec Abbervail Dream dans la Queen Elizabeth II Cup, une épreuve réservée aux femmes qu’elle a déjà remportée à deux reprises; jusqu’à 2008, les cavalières n’avaient pas le droit de disputer la King George V Gold Cup, le vrai Grand Prix de Grande-Bretagne... Deux ans après avoir touché le bronze par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Rome, l’Anglaise réalise un double sans-faute. Son cheval vole. Elle est alors persuadée d’avoir son billet en poche pour l’Australie. Le comité de sélection lui apprend pourtant le jour même qu’elle n’y sera que réserviste.
La décision n’est pas encore officielle, mais la cavalière, furieuse, s’en émeut dès le lendemain dans la presse britannique, jamais avare d’une controverse. “Vous faites tout ce que l’on vous demande et on vous crache à la figure”, fulmine-t-elle. “Je suis persuadée que mon cheval est l’un des deux dans le pays à avoir les meilleures chances olympiques. Certaines personnes semblent avoir oublié ce qu’il a réalisé. Il a treize ans, il est au sommet de sa forme. Comment ne peuvent-ils pas le voir?” Avec Geoff Billington, Carl Edwards et les frères Michael et John Whitaker, la Grande-Bretagne quittera finalement Sydney sur une triste huitième place par équipes. De quoi remuer le couteau dans la plaie de Robert Verburgt, le propriétaire d’Abbervail Dream, qui demande alors la démission des sélectionneurs, dont Malcolm Pyrah, sans le nommer directement.
Près de vingt ans plus tard, la blessure est refermée. Di Lampard a tourné depuis longtemps la page de sa non-sélection olympique. Elle se retrouve désormais elle-même en position d’opérer ces choix si cruciaux. En février 2015, la Fédération équestre britannique l’a en effet nommée à la tête de son équipe de saut d’obstacles en lieu et place de Rob Hoekstra, l’architecte néerlandais des médailles d’or par équipes des Jeux olympiques de Londres et des championnats d’Europe d’Herning, qui a vu son édifice s’écrouler lors des Jeux équestres mondiaux de Normandie, en 2014. Ce poste, elle assure n’y avoir “jamais pensé” jusque-là en se regardant dans le miroir le matin. En revanche, un consensus rare a semblé se dégager autour de sa personne. ”Beaucoup de gens du milieu de l’équitation, des propriétaires ou des chefs d’équipe internationaux m’ont encouragée à présenter ma candidature”, raconte-t-elle. “J’ai aussi reçu un soutien important de la part des cavaliers. Je ne m’y attendais pas réellement, et cela m’a vraiment touchée et convaincue d’y aller.”
Six candidats ont été entendus par les responsables de British Show Jumping. Parmi eux, figurait notamment Albert Voorn, médaillé d’argent individuel de ces fameux Jeux olympiques de Sydney, et quelque peu ostracisé dans son propre pays. Cependant, compte tenu des conditions dans lesquelles s’est achevée l’ère Hoekstra, soupçonné d’avoir parfois outrepassé ses fonctions, la fédération britannique n’avait sans doute pas très envie de confier de nouveau son destin olympique entre les mains d’un étranger. La réussite de Di Lampard à la tête des sélections Juniors et Jeunes Cavaliers a sans doute également plaidé en sa faveur. “Elle connaît très bien la discipline et la façon dont elle est structurée en Grande-Bretagne. Son expérience du plus haut niveau international peut nous être utile en cette année si importante”, se félicitait alors le directeur exécutif du saut d’obstacles britannique, Lain Graham. Le légendaire John Whitaker, lui, salue un choix logique. “Selon moi, elle était la meilleure candidate. J’espérais sa nomination, donc je suis content pour elle et pour nous. Albert Voorn aurait eu besoin de plus de temps pour s’adapter. C’est compliqué d’arriver dans un pays et de tout changer. Rob Hoekstra est néerlandais aussi, mais il vit au Royaume-Uni depuis trente ans, ce qui est très différent.”
Un transfert intergénérationnel de l’expérience
De fait, Di Lampard avait dans sa manche un atout de taille, son passé de compétitrice. Aujourd’hui âgée de soixane-trois ans, l’Anglaise, originaire du Leicestershire, a représenté son pays lors de deux Jeux équestres mondiaux avec Abbervail Dream, à Rome avec à la clé le bronze par équipes et une onzième place individuelle, puis à Jerez en 2002, avec un peu moins de réussite puisqu’elle a terminé soixante-neuvième. Elle a également participé à deux championnats d’Europe, à Hickstead en 1999 et Arnhem en 2001, ainsi qu’à une cinquantaine de Coupes des nations.
Après avoir raccroché ses étriers, la jeune retraitée s’est vite impliquée au sein de sa Fédération. Elle a notamment travaillé auprès des équipes de jeunes, mais aussi des équipes Seniors, avec Rob Hoekstra, lorsque le calendrier l’imposait. “J’entretiens de bonnes relations avec les cavaliers de tous les âges”, souligne celle qui se voit volontiers comme “un lien entre les différentes générations”. D’un côté, il y a les vieux briscards, Michael et John Whitaker ou Nick Skelton, avec lesquels elle a longtemps concouru; de l’autre, les jeunes talents qu’elle a vu grandir et progresser, à l’image de Ben Maher, sélectionné dans l’une de ses équipes lors de championnats d’Europe Jeunes Cavaliers. L’Anglais de trente-deux ans a d’ailleurs été l’un des premiers à se réjouir de sa nomination, sur son compte Facebook. John Whitaker, dont la dernière apparition en Coupe des nations remonte à 2012, voit lui aussi d’un bon œil l’arrivée de son ancienne coéquipière à la tête du saut d’obstacles britannique: “Di est une cavalière accomplie. Elle connaît ce sport et les sacrifices qu’il exige. C’est une vraie femme de cheval. Elle communique très bien, mieux que Rob Hoekstra, qui a parfois péché en la matière.”
Di Lampard est aussi la première femme en Grande-Bretagne à occuper ce poste de chef d’équipe. D’une voix calme et réfléchie, pesant chaque mot comme si elle déterminait un contrat de foulées, elle reconnaît en retirer une certaine “fierté”, sans s’appesantir davantage sur la question. “Dans ce sport, j’ai toujours évolué aux côtés des hommes. Je n’y pense donc pas vraiment, c’est quelque chose de naturel pour moi.” À part Katie Prudent, qui a parfois assuré l’intérim de ces messieurs à la tête de la bannière étoilée, et Di Ann Langer, actuellement en charge des jeunes cavaliers américains, les femmes restent rares aux postes à haute responsabilité dans les grandes nations du jumping. “Les choses sont en train de changer, on en verra sans doute davantage à l’avenir”, estime Di Lampard. “Comme dans le reste de la société, par rapport à il y a une quinzaine d’années, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les hautes sphères.”
Une femme de caractère pour une mission ardue
Au quotidien, la quinquagénaire doit composer avec quelques forts caractères. Ça tombe bien, elle n’en manque pas non plus. Polie et souriante sous son brushing impeccable, elle cache derrière ses airs de tatie anglaise une détermination à toute épreuve. L’empathie de Lady Diana avec la poigne de Margaret Thatcher. “On ne peut pas faire plaisir à tout le monde”, assume-t-elle. “Je le savais dès le départ en prenant ce poste. Il faut faire des choix, mais ce n’est pas un problème si les décisions s’appuient sur des faits et qu’elles sont bien expliquées.” Communication et transparence. Les deux mots reviennent régulièrement dans son discours. Elle ne souhaite surtout pas faire vivre à d’autres son traumatisme des Jeux de Sydney. “Ayant été cavalière moi-même, je peux me mettre à leur place. Je suis passée par là. Vous pensez toujours que vos performances sont supérieures à celles des autres. Ce que tout le monde veut, c’est être traité avec respect.”
Tim Stockdale, qui était avec elle de l’aventure des Jeux équestres mondiaux de Jerez, parle de son ancienne compagne de route comme d’une “grande professionnelle”. Honnête et minutieuse. “Elle a toujours prêté beaucoup d’attention aux détails. La santé des chevaux, le planning de sa saison… Cela ne se faisait pas beaucoup à l’époque. Elle avait de l’avance dans ce domaine. Elle a donc toute la légitimité aujourd’hui pour réclamer le même niveau d’exigence à ses cavaliers. C’est une gagnante, une battante. Elle a une vision très claire des choses.” L’intéressée a d’ailleurs fait savoir, dès sa prise de fonction en février, qu’elle ne ferait “aucun compromis” pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés. “Si l’on a un plan et qu’il existe une certaine façon de le mener à bien, c’est ainsi qu’il faut procéder. Pas autrement. Tout le monde doit tirer dans le même sens si l’on veut avancer dans la bonne direction. Ce n’est pas moi, ni cinq cavaliers, mais tout un groupe.” La notion de collectif ne lui est pas étrangère, elle qui assure avoir toujours fait passer les compétitions par équipes avant ses ambitions personnelles. “Ma saison était bâtie autour des Coupes des nations. J’adorais représenter mon pays.” Tim Stockdale confirme: “Di engageait souvent son cheval dans la Coupe des nations, mais pas dans le Grand Prix, afin de le préserver. Elle a toujours placé l’équipe au-dessus de tout et il n’y a pas de raison que cela change aujourd’hui.”