Ces héros qui ont marqué l’histoire (partie 1)
Au commencement émergea une idée simple, inspirée à Max Ammann par le ski alpin, qui avait réuni ses plus grandes compétitions, de Kitzbühel à Val-d’Isère, sous la bannière d’une Coupe du monde. Encouragé en 1976 par le Prince Philip, alors président de la FEI, le journaliste calqua ce beau concept pour donner corps à la saison hivernale, rythmée par de bruyants et colorés concours indoor. Deux ans plus tard, le rêve du Suisse devint réalité: la première Coupe du monde de saut d’obstacles se déploya sur seize étapes – dont Bordeaux, déjà! – et se conclut à Göteborg, qui en accueillit la finale. En trente-cinq éditions, cette compétition a suscité les convoitises de centaines et centaines de cavaliers et chevaux à travers le monde, au fil du développement des ligues de qualification. Seuls vingt-quatre heureux élus ont eu l’honneur de soulever le précieux trophée depuis 1979. D’Hugo Simon à Meredith Michaels-Beerbaum, en passant par Conrad Homfeld, Mario Deslauriers, Ian Millar, John Whitaker, Rodrigo Pessoa et Markus Fuchs, replongez-vous dans l’histoire de cette belle et noble compétition.
Hugo Simon, premier lauréat et premier triplé
Si aucun Belge – Jos Lansink était encore Néerlandais quand il s’est imposé avec Libero H, en 1994 à Bois-le-Duc – aucun Irlandais, ni aucun Italien n’a encore jamais remporté la Coupe du monde de saut d’obstacles, on dénombre deux Autrichiens au palmarès de cette glorieuse compétition: Thomas Frühmann, lauréat avec Geniusen 1992 à Del Mar, et Hugo Simon. Né en pleine Seconde Guerre Mondiale à Krivá Voda, dans l’actuelle République tchèque, cet inimitable gagneur a un temps défendu les couleurs de l’Allemagne de l’Ouest (RFA), avant de signer ses plus grands exploits pour l’Autriche, dès 1972. Hugo Simon restera à tout jamais comme le premier vainqueur delaCoupe dumonde, mais aussi le premier à la soulever trois fois.
En avril 1979, il a d’abord remporté la finale avec Gladstone (Han, Gotz x Weingau), aux dépens de l’Américaine Katie Monahan (futur Prudent), associée à The Jones Boy, au terme d’un barrage, dans une formule qui se cherchait encore. Laissant ensuite les Américains et Canadiens régner sans partage sur les dix finales suivantes, il a tout de même hissé Gladstone sur le podium à trois autres reprises, en 1981 à Birmingham, en 1982 à Göteborg, puis en 1983, chez lui à Vienne, où il a dû s’avouer vaincu face à Norman Dello Joio, fils du compositeur new-yorkais du même nom, associé au Selle Français I Love You (Almé x Nykio). En 1985 à Berlin, il a également terminé cinquième avec The Freak (KWPN, Lucky Box x Banko), futur mulet gagnant de Ludger Beerbaum aux Jeux olympiques de Séoul. Le vétéran ne s’est jamais résigné, formant deux couples hors du commun avec Apricot D (Zweibr, Alexis x Gotthard),et E.T. FRH (Han, Espri x Garibaldi II). Avec le premier, il a décroché une médaille d’argent par équipes aux Jeux olympiques de Barcelone, en 1992, et avec le second, deux finales de Coupe de monde, en 1996 et 1997.
À Genève, dix-sept ans après son premier succès, il triomphe de nouveau au terme d’un barrage, le deuxième de l’histoire, aux dépens du Suisse Willi Melliger sur Calvaro V (Holst,Cantus x Merano). “Plus il accélère, mieux il saute”, avait-il déclaré au sujet d’E.T. Remportant la Chasse avec 1’15’’ d’avance sur Rodrigo Pessoa et Special Envoy (King of Diamonds), l’Autrichien prend une bonne option avant de fauter dans la deuxième épreuve. Le tenant du titre, le Britannique Nick Skelton, la remporte au barrage avec Dollar Girl (Han, Dynamo x Salem). Melliger termine troisième devant Ulrich Kirchhoff et Jus de Pomme (BWP, Primo des Bruyères x Garitchou), les futurs champions olympiques, et Rodrigo Pessoa, associé cette fois à Tomboy (ISH,Coevers x Jab). Le dernier jour, il n’y a pas un sans-faute dans le temps en première manche, mais un seul demi-point permet au jeune Brésilien de virer en tête, tandis que ses plus proches rivaux font tomber une barre, et même deux pour Melliger. Calvaro se reprend avec un sans-faute, alors qu’E.T. et Dollar Girl laissent respectivement quatre et quatre points et demi dans ce qui devait être l’ultime tour. Dernier à s’élancer, Rodrigo a beau disposer de deux barres d’avance, il échoue irrémédiablement, Tomboy fauchant le double avant de s’arrêter sur l’obstacle suivant…Il faut donc un barrage pour départager Melliger et Simon. Le Suisse boucle un ultime sans-faute, mais laisse un espace à l’Autrichien, qui s’y engouffre tel un lion, rabotant tous ses tournants. À l’arrivée, Hugo et E.T. le bien-nommé l’emportent avec deux secondes d’avance!
L’année suivante, le couple part favori à Göteborg, et il ne va pas décevoir le Scandinavium, théâtre de son premier succès. Menant la danse de bout en bout, il ne laisse que des miettes à John Whitaker, alternant entre Grannusch (Han, Grannus x Löwen As) et Welham, et à Franke Sloothaak sur Joli Cœur (BWP, Major de la Cour x Un Bonheur). En 1998, les doubles tenants du titre doivent se contenter de la huitième place. L’heure est venue de laisser régner Rodrigo et Baloubet du Rouet.
Poursuivant sa carrière exceptionnelle à soixante-dix ans passés, Turbo Hugo s’estimait toujours capable de gagner des Grands Prix, ce qu’il a d’ailleurs prouvé en s’adjugeant deux épreuves au CSI2* de Linz, début novembre 2016 avec Freddy 7 (For Pleasure x Contender). “Aussi longtemps que j’aurai de bons chevaux, je continuerai. J’ai deux jeunes prometteurs, et j’ai la santé, alors pourquoi arrêter?”, a-t-il fièrement lancé au magazine GRANDPRIX en décembre 2013, dans un dossier consacré aux “papys” des sports équestres. Sans doute nourrit-il le rêve d’une dernière finale. Apricot D et E.T., eux, se sont éteints ensemble, le 4 janvier 2013. Il a finalement raccroché les bottes définitivement à la fin de l’année 2016, prenant une retraite bien méritée.
Conrad Homfeld ouvre l’autoroute américaine
En Coupe du monde, la décennie 80 a été outrageusement dominée par les États-Unis et le Canada, forts de quelques grands cavaliers au sommet de leur art et de l’émergence de jeunes talents mettant toutes les chances de leur côté pour réussir, un peu à l’image de ce qui se passe aujourd’hui. Conrad Homfeld n’a pas encore vingt-neuf ans lorsqu’il s’impose pour la première fois, en avril 1980 à Baltimore. Associé à Balbuco, il succède dignement à Hugo Simon et Gladstone, ouvrant la voie à ses compatriotes américains et à leurs voisins canadiens. Avouons-le, cette finale a été l’une des plus ennuyeuses de l’histoire, un commentateur américain n’hésitant pas à déclarer: “Je comprends pourquoi les Européens n’ont pas besoin de somnifères, ils ont le saut d’obstacles!”. La formule, comptant désormais trois épreuves, contre deux en 1979, est si complexe que le jury doit compter et recompter durant quinze minutes pour déclarer Homfeld vainqueur! Toujours est-il qu’il devance sa compatriote Melanie Smith sur le tout jeune Calypso (KWPN, Lucky Boy x Zilon), et l’Allemand Paul Schockemöhle sur El Paso (Han, Ehrenschild x Wächter).
Absent en 1981 et 1982, Conrad Homfeld revient l’année suivante à Vienne, terminant quatrième avec la Pur-sang Touch of Class (Yankee Lad x Cornwall), future championne olympique avec son compatriote Joe Fargis. Avant de remporter la médaille d’argent olympique, le futur grand chef de piste termine à une décevante trente-huitième place de la troisième finale organisée à Göteborg, en 1984, avec Abdullah (Trak, Donauwind x Maharadscha). Le tour du couple vient en 1985, à Berlin. L’Américain devient le premier cavalier à remporter deux finales. La Chasse sourit au jeune Michael Whitaker et à l’ISH Warren Point. Conrad et Abdullah en prennent la cinquième place. Après une grosse mésaventure le premier jour, Nick Skelton s’impose dans la deuxième épreuve avec St. James, devant son compatriote Malcolm Pyrah sur Anglezarke, et Pierre Durand sur Jappeloup (Tyrol II x Oural). Conrad Homfeld, lui, faute, tout comme le plus jeune de la fratrie Whitaker, et aborde la dernière épreuve à la quatrième place provisoire, derrière Skelton, Pyrah, et Hugo Simon. Les parcours sont si durs qu’Anglezarke et The Freak commettent une faute dans chaque manche, tandis que St. James s’accroche et résiste aux retours de Jappeloup et Abdullah, sans faute. Comme un coup de théâtre, Olaf Petersen, le chef de piste, impose un quadruple en seconde manche.
Les moins aguerris vont souffrir. Pas de problème pour Abdullah, “qui déteste toucher les barres”, commentera le futur lauréat. St. James franchit aussi la combinaison, mais s’incline sur un obstacle anodin… et Skelton doit se contenter de la deuxième place. Juste devant Pierre Durand, Jappeloup butant sur le troisième élément du quadruple. Homfeld terminera troisième avec Maybe à Göteborg, en 1986, sa dernière finale. Il se reconvertira plus tard en brillant chef de piste.
Mario Deslauriers, le précoce
Une authentique surprise marque la troisième finale organisée à Göteborg, en avril 1984. “À jeune cavalier, vieux cheval”, dit le vieil adage. Un jeune Québécois nommé Mario Deslauriers va le faire mentir, et ce faisant, déjouer tous les pronostics.Il a dix-neuf ans depuis deux mois lorsqu’il foule la piste ovale du Scandinavium, tandis que son partenaire, le Hanovrien Aramis (Argentan I x Einglas), n’a que sept ans! Sa compatriote Leslie Burr s’adjuge la Chasse avec Corsair (KWPN, Landjonker x Afrikan Drum), devant le Brésilien Nelson Pessoa sur Larramy (KWPN, Millerole x Avenir) et le Britannique Michael Whitaker sur Red Flight. Sans faute, mais prudent, Mario s’installe à la huitième place, à plus de quatre secondes. Dans la deuxième joute de cette finale, Aramis compte parmi les dix sans-faute initiaux, puis les cinq doubles sans-faute du premier barrage, ce qui lui ouvre les portes d’un second barrage – coquetterie de l’époque. Deslauriers l’emporte d’une demi-seconde devant deux Britanniques: Malcolm Pyrah sur Anglezarke et John Whitaker sur le fameux Ryan’s Son. Au provisoire, le jeune Canadien, originaire de Bromont, où s’étaient disputées les épreuves équestres des Jeux olympiques de 1976, s’installe en tête avec une barre d’avance sur Neco. Il consomme son joker dès la première manche de l’ultime épreuve, Aramis fautant dans le triple. Cependant, Larramy ne fait pas mieux. Lejeune cavalier plie, mais ne rompt pas, signant un sans-faute en seconde manche, comme son concurrent brésilien, pour soulever le trophée si convoité. Parmi les six doubles sans-faute, le tenant du titre, Norman Dello Joio, toujours en selle sur I Love You, ne peut que sauver les meubles, partageant la deuxième place avec Neco.
Si cet authentique exploit de 1984, il y a trente ans déjà, a lancé la carrière de Mario, jamais plus il n’a eu l’honneur de soulever la Coupe, ni de remporter de grand titre. Finaliste en 1985 avec Aramis, en 1987 et 1989 avec Box Car Willie(KWPN, Le Val Blanc x Rigoletto), en 1993 et 1994 avec Alemao, en 1995 et 1996 avec Amistad, et en 2000 et 2001 avec Le Madro, il est passé tout près d’un deuxième succès, en 2010 à Genève. Devenu Américain quatre moins plus tôt, il monte alors Urico (Zandor x Fedor), le crack deJaneClark. Septième de la Chasse, deuxième du Grand Prix et sans faute de la première manche du rendez-vous dominical, il aborde la seconde avec un score vierge. De manière inexplicable, le jeune cheval concède treize points dans ce dernier tour, offrant la victoire sur un plateau à l’Allemand Marcus Ehning. Depuis qu’il s’est vu retirer les chevaux de Jane Clark au profit du Britannique Ben Maher, Mario s’est installé non loin de New York, et se fait beaucoup plus discret en concours, préparant de jeunes chevaux et rêvant à de futurs exploits. Deviendra-t-il le plus vieux cavalier à s’imposer en finale? Qui sait…
Ian Millar et Big ben, le doublé transatlantique
Mario n’a pas été le seul Canadien à briller en finale du circuit hivernal. Ian Millar, né dix-huit ans avant lui à Halifax, en Nouvelle-Écosse, va même être le premier à conserver son titre, qui plus est avec le même cheval, Big Ben (BWP, Étretat x Flevo), déjà huitième en 1985, deuxième en 1986,et cinquième en 1987. Captain Canada, connu également pourson inégalable présence aux Jeux olympiques(de 1972 à 2012, sauf 1980, année de boycott), conclut victorieusement la première décennie de la Coupe du monde, en 1988 à Göteborg.
Le couple s’offre une Chasse vierge de toute combinaison – pourquoi pas – en empruntant tous les raccourcis possibles. Ses meilleurs poursuivants sont sa compatriote Laura Balisky sur Quartz, et la Britannique Liz Edgar sur Rapier. Les cavaliers doivent nettement plus s’employer dans le Grand Prix à deux barrages. Ian Millar et Big Ben passent le cut, comme Pierre Durand et Jappeloup, les champions d’Europe en titre, piégés dans la Chasse par un coup de botte du cavalier dans le mur, John Whitaker et Milton (KWPN, Marius x Any Questions), deux fois pénalisés auparavant, ou encore les réguliers Malcolm Pyrah et Anglezarke. Seuls Milton et ce dernier répètent dans le premier barrage, avant que le célèbre gris ne faute dans le triple du second barrage. Exigeante, cette finale! Millar reste en tête au provisoire avec un poil plus d’une faute d’avance sur le Belge Philippe Le Jeune et sa Selle Français Nistria (Dynamique x Ironside), et un peu plus encore sur Pyrah. Dans la troisième épreuve, Durand, sixième ex-æquo à deux fautes, est le seul du top six à signer le sans-faute en première manche. Il récidive magnifiquement dans la seconde, tout comme le Californien Hap Hansen sur Junipérus (Floriss II x Pamir), l’ancien cheval d’Hubert Bourdy. Avec une faute, Le Jeune rétrograde à la troisième place, tandis que Pyrah laisse définitivement échapper le podium. Millar, lui, regarde droit devant lui et termine par un clear round pour soulever son premier trophée, à quarante et un ans.
L’année suivante, le Canadien et Big Ben résisteront encore à John Whitaker et Milton à Tampa, la deuxième finale organisée aux États-Unis. Le couple tentera une dernière fois sa chance en 1992 à Del Mar, pour une décevante quarantième place. Ian présentera aussi Czaren 1990 et 1991, Future Vision en 1993, Ivar en 2000 et In Style en 2009, sans parvenir toutefois à se mêler à la lutte pour la victoire. Avec l’âge, le Canadien se fait plus rare en Europe, au grand dam de ses coéquipiers. Ian Millar n’a plus foulé les terrains de concours du Vieux Continent depuis les Jeux équestres mondiaux de Normandie, en 2014. Il repousse poliment les demandes d’interview au sujet de ses grands exploits passés…