Uliano Vezzani, parcours d’artiste
Inventif, délicat, espiègle, Uliano Vezzani s’impose chaque année un peu plus comme le numéro un mondial des chefs de piste. En France, le maître des courbes, des couleurs et des enchaînements subtils a déjà conquis Cannes, Chantilly, Bordeaux, et Grimaud, où il officie à l’occasion du CSI 5* ce week-end. Immensément passionné pour son travail et par le sport, l’Italien est avant tout un homme de cheval. Avec un seul mot d’ordre: respect!
“Si les chevaux affrontaient uniquement des parcours imaginés et construits par Uliano Vezzani, ils pourraient sauter tous les week-ends”, avait déclaré Kevin Staut à l’occasion du CSIO de Rome en 2013. Un mois plus tôt à Göteborg, à l’issue de l’ultime épreuve de la finale de la Coupe du monde – probablement la plus difficile de l’histoire, avec aucun sans-faute en première manche et deux seulement dans la seconde – Steve Guerdat, le champion olympique en titre, avait assuré: “Le parcours de la finale était compliqué, avec de gros obstacles, mais il correspond au niveau du concours. Si nous, cavaliers, avions mieux monté que nous ne l’avons fait, il y aurait sûrement eu plus de sans-faute! Uliano a réussi un boulot fantastique.”
Il s’agit là de deux des événements les plus importants de la saison 2013. Deux paris tenus par Uliano Vezzani. Si de très nombreuses variables (accueil des chevaux et des cavaliers, qualité des sols, position géographique, dotation, etc.) déterminent le prestige et le niveau d’un concours hippique international, le travail du chef de piste est certainement l’une des plus importantes. Dans le choix final entre deux événements équivalents, l’identité et la réputation de celui qui construit les pistes fait souvent la différence.
Depuis quelques années, l’Italien a la cote. Né en 1957 à Correggio, dans la province de Reggio Emilia, Uliano Vezzani est même devenu l’un des chefs de piste les plus appréciés et demandés du monde, supplantant l’Allemand Frank Rothenberger, valeur sûre, mais peut-être un peu moins moderne. L’histoire a commencé de manière plutôt étonnante, il y a près de trente ans. Cavalier de niveau national, il est engagé dans un concours à Jesi, une ville de la région des Marches, non loin de l’Adriatique. Le chef de piste local se trouve soudainement dans l’incapacité d’assurer sa mission. Le jeune homme relève le défi et le réussit. Il faut croire qu’il n’y a pas de hasard.
Grand passionné de chevaux, il a montré depuis ses débuts un grand talent, ainsi qu’une sensibilité particulière, caractéristiques reconnues par tous les cavaliers. Chef de piste national en 1987, puis international en 1993, après quatre ans de formation, il n’a cessé de progresser. Il séduit assez vite des événements prestigieux, à l’image du circuit de la Coupe du monde, pour lequel il dessine les parcours de la finale de Milan – la dernière remportée par un Français, Bruno Broucqsault sur Dilème de Cephe, en 2004. L’une des nombreuses étapes qui l’ont ensuite amené à bâtir la fameuse finale 2013 de Göteborg, conclue en apothéose par deux manches sublimes, suivies d’un barrage irrespirable, où l’Américaine Beezie Madden et Simon l’ont emporté dans une atmosphère électrique.
Routinier des CSI et CSIO 4 et 5*, Uliano Vezzani a également officié en tant que délégué technique aux championnats d’Europe Seniors de Windsor, en 2009, et en tant que chef lors du rendez-vous continental des Juniors et Jeunes Cavaliers, en 2006 à Athènes. En 2013, il a, en outre, réalisé des parcours au Winter Equestrian Festival de Wellington, en Floride, au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera, au Spring Tour de Vidauban et au Toscana Tour d’Arezzo. Parmi les concours internationaux les plus prestigieux portant sa signature, on citera aussi les CSIO de Kiev et San Marin (disputé à Arezzo), ainsi que les CSI 5*-W d’Oslo, Vérone et Bordeaux, trois des dix étapes de la Ligue d’Europe de l’ouest de la Coupe du monde.
Favorable à la suppression des rivières
Comme on peut s’en douter, concevoir un parcours, c’est tout un art. “La première règle à respecter absolument est de toujours construire dans l’intérêt des chevaux, et jamais contre eux. Cela implique de ne pas leur imposer d’efforts inutiles, ni de leur proposer des difficultés insidieuses. Lorsque l’on arrive sur le lieu d’un concours, longtemps avant l’événement, il faut prendre le temps nécessaire pour bien évaluer le site et se faire une idée générale de la structure. Les premières considérations concernent la géographie et la topographie de la piste, ses dimensions, le type de sol, la situation de la piste principale, les caractéristiques de la carrière de détente, les conditions climatiques et le matériel à disposition dans le parc d’obstacles. Ensuite, il faut évaluer le niveau de la liste complète des couples engagés dans le concours, avant de rentrer dans le détail des listes de départ de chaque épreuve, ainsi que leur barème et leur cote. Le premier jour, on observe tous les couples sur le terrain. On se fait ainsi une idée plus précise de la forme des chevaux, de manière à apporter d’éventuelles modifications aux tracés des parcours à venir. Chaque obstacle représentant une difficulté, il s’agit d’en disposer tout au long du parcours de manière à favoriser la compétition, tout en restant dans le respect le plus total du cheval, aussi bien du point de vue physique que psychologique.” Si cela ne tenait qu’à lui, Uliano supprimerait définitivement les rivières. “Elles contraignent le cheval à modifier totalement sa façon de sauter. En effet, pour les franchir, le cheval doit allonger son corps avant de rétablir immédiatement son équilibre pour se préparer de nouveau à sauter plus en hauteur. De plus, les chutes occasionnées par les rivières sont les plus dangereuses.”
Toujours présent au milieu de la piste, scrutant chaque parcours dans les moindres détails, Uliano Vezzani jouit de l’estime de tous les cavaliers. Il n’est d’ailleurs pas rare de le voir discuter avec eux et d’échanger des opinions sur les parcours. “À chaque fois que j’observe les cavaliers sur la piste, je leur demande de partager leurs impressions. J’écoute leurs conseils et leurs explications sur les problèmes et les plus grandes difficultés qu’ils rencontrent. Je leur demande toujours leur avis en fin de tour. Je garde précieusement leurs réflexions, surtout lorsque survient une erreur. J’observe aussi les chevaux à la détente pour voir comment ils sautent et s’ils conservent leur gestuelle sur le parcours. Les chevaux ne doivent pas se trouver dans le dur et les erreurs ne doivent jamais les effrayer. C’est pourquoi je ne concentre jamais les difficultés en un seul point du parcours. Au contraire, je les distribue de manière à ce que les chevaux arrivent au bout et abordent le dernier obstacle avec l’envie de le sauter. Le respect des chevaux est la première chose qu’un chef de piste doit absolument considérer. C’est pourquoi il doit avant tout être un homme de cheval.”
Le constructeur porte une grande responsabilité. En effet, de lui dépendent aussi bien le bon déroulement du concours que, plus important encore, l’intégrité physique et psychologique des chevaux. Garantir à la fois un bon niveau de sport et un beau spectacle pour le public n’est pas une chose facile. “Durant toutes ces années passées à construire des Coupes des nations, Grands Prix, étapes du Global Champions Tour, ou de Coupe du monde, sur des terrains de toute typologie et de toutes dimensions, j’ai accumulé une grande expérience, mais je m’aperçois qu’il y a toujours beaucoup à apprendre. Chaque occasion est bonne pour améliorer son travail et progresser en tant que personne.”
Au-delà de l’expérience et des connaissances techniques absolument indispensables, il faut avoir une grande passion et une connaissance approfondie des chevaux. Tel un scénariste, quand il assiste à l’exécution de ses tracés, Uliano Vezzani ne cache pas ses émotions, surtout sur les terrains de concours qui lui sont chers. “Parmi les concours les plus émouvants pour moi, je place en tête Piazza di Siena (le CSIO 5* de Rome, ndlr). C’est là-bas que je suis né. C’est aussi là-bas que j’ai appris le métier, avec le grand Marcello Mastronardi, qui a construit pendant trente ans les parcours dans les jardins de la Villa Borghèse. Je lui portais les barres. Il a été mon maître à mes débuts. Je lui dois vraiment beaucoup. Parmi mes concours préférés, il y a aussi Valkenswaard, aux Pays-Bas (étape du Global Champions Tour organisée chez lui par Jan Tops, ndlr). On y trouve de nombreux obstacles naturels. Tout est très soigné. Wellington (théâtre floridien du Winter Equestrian Festival, durant les trois premiers mois de l’année, ndlr) m’a surpris par sa démesure et son extraordinaire organisation. Santiago, au Chili, m’a séduit pour l’excellente qualité de son terrain en herbe. Cannes est un vrai petit bijou avec une très belle atmosphère. Chantilly brille par les dimensions de sa piste Meautry (100m x 150m, ndlr), située au beau milieu du champ de courses. L’Arezzo Equestrian Centre, où les chevaux acquièrent de l’expérience, et où les cavaliers viennent chaque année de toute l’Europe pour préparer la saison extérieure, est aussi en bonne place dans cette liste. La grande arène de Boccaccio est l’une des plus belles du monde, une parfaite salle de sport pour les chevaux!”
Des victoires émouvantes
Sur tous ces terrains, le chef d’orchestre a vécu des émotions extraordinaires. “Je retiens des moments inoubliables, tels que les victoires de Gianni Govoni et Joyau d’Opal dans le Global Champions Tour de Rio de Janeiro, en 2009, de Kevin Staut et Silvana*HDC dans le Grand Prix Coupe du monde de Bordeaux, en 2012, de Gerco Schröder à Cannes, également en 2012, ou encore le succès final d’Edwina Tops-Alexander dans le GCT avec Itot du Château, sans parler des Coupes des nations à Piazza di Siena, où l’Allemagne s’est imposée en 2012 et l’Ukraine en 2013.”
Si le CSIO d’Italie conservera toujours un goût particulier, chaque circuit comporte ses spécificités et son cahier des charges. “Rome est le concours dans lequel je me suis le plus investi, entre autre parce que le niveau technique des équipes est très différent. Il faut donc réaliser des parcours équilibrés tout en maintenant un haut niveau de compétition. Chaque concours a ses propres caractéristiques. Le Global Champions Tour, qui se déroule généralement dans les plus beaux centres-villes du monde, a pour but d’attirer un large public, parfois néophyte, vers l’équitation. Il s’agit donc de créer du spectacle. Le chef de piste ne doit pas uniquement construire les parcours, mais réaliser un véritable show, tout en mettant les sponsors au centre de l’attention. Les obstacles des sponsors doivent ainsi être disposés de manière à être visibles de tous et largement filmés par les caméras. L’aspect médiatique est très important pour les partenaires, eux-mêmes essentiels au développement et à la diffusion à grande échelle du saut d’obstacles. Les parcours doivent aussi être conçus de manière à être entièrement visibles par le public rassemblé tout autour de la piste, aussi bien sur un espace restreint, en indoor, que sur un grand terrain extérieur.”
Souriant, comme toujours ou presque, Uliano Vezzani ne reste jamais longtemps en place. Son mètre de tailleur à la main, il s’active sur la piste, entouré de ses collaborateurs, dont certains rêvent sans doute de lui succéder au poste fort symbolique de numéro un mondial des constructeurs. “Je me considère particulièrement chanceux d’exercer ce métier, car je suis en contact avec un animal merveilleux, que j’aime énormément, et qui continue à m’offrir de nouvelles émotions. J’ai établi un excellent rapport avec les cavaliers, qui sont, pour la plupart, devenus de vrais amis. En observant les chevaux, j’apprends quelque chose de chaque parcours. J’espère ainsi continuer à apprendre et à améliorer la qualité de mon travail pour produire du sport de haut niveau sans jamais transiger sur le respect du cheval.”
Cet univers en constante évolution exige un grand professionnalisme et une obligation de résultats, ce qui explique qu’un nombre très restreint de chefs de piste se partagent désormais la plupart des CSI 5*. Au mérite de son travail, Uliano Vezzani a reçu le titre d’officiel l’habilitant, comme quelques-uns de ses collègues, à officier aux Jeux olympiques.
Cet article d’archive est paru dans le n°80 de GRANDPRIX International en février 2014.