À quand un “Happy Horse Award” à la française?

Nos voisins helvétiques, investis dans le bien-être animal depuis de nombreuses années, ont développé le “Happy Horse Award, qui récompense les cavaliers respectueux de leurs montures sur les paddocks de détente en compétition. Alors que cette initiative, en place depuis peu et soutenue par la Fédération suisse des sports équestres (FSSE), continue de se développer, la question d’une adaptation ce concept en France se pose. Richard Corde, président de la Ligue française pour la protection du cheval, Pascale Wittmer, organisatrice de concours en Normandie et Déborah Bardou, chargée de projet bien-être animal à la Fédération française d’équitation (FFE), apportent quelques éléments de réponse. Si des initiatives privées liées au bien-être des chevaux en compétition existent, “rien de concret n’est encore décidé” d’un point de vue collectif et national. 



Le “Happy Horse Award” est une initiative de la Protection suisse des animaux (PSA, ou Schweizer Tierschutz STS, en Allemand), qui est engagée depuis plus de cinquante ans auprès des chevaux et se rend depuis 2014 sur les terrains de concours pour observer les comportements et parfois les dénoncer, comme cela a été le cas concernant la pratique du rollkürSandra Schaefler, responsable du projet aux côtés de Thomas Frei, rédacteur en chef d'un magazine équestre en Suisse, explique: “La Fédération suisse des sport équestre (FSSE) soutient la campagne «Happy Horse Award», mais notre association finance exclusivement cette initiative”. 

Comme l’explique la PSA“la grande majorité des cavaliers essaient de toujours traiter leur monture avec respect, à l’entraînement comme en compétition. La Protection suisse des animaux souhaite reconnaître publiquement ce type de comportement et encourager encore plus de cavaliers à se concentrer sur le respect envers leur cheval, qui est un véritable partenaire sportif. Ainsi, depuis la reprise des compétitions post-confinement, les cavaliers exemplaires sur les paddocks de détente sont récompensés par le “Happy Horse Award. Les disciplines évaluées sont pour l’instant le dressage, le concours complet, le saut d’obstacles et le reining.  

Les cavaliers des épreuves concernées sont informés à l’avance de l’observation de leurs comportements. Les juges, nommés par la PSA, portent leurs regards à la fois sur le cheval – impression générale avec la respiration ou la transpiration, la posture de la tête et de l’encolure, les fouaillements de la queue, la bouche, les yeux, les oreilles, etc. – et sur son cavalier – posture des mains, gestion de la détente, récompenses, etc. – et son équipement. Une notation qui n’est pas figée dans le marbre comme l’explique la juge Antoinette Lier: “Nous sommes encore dans une phase où nous devons acquérir de l'expérience. Nous avons déjà changé la feuille de notation et ce n'est peut-être pas la dernière version.” 

Soutenue par la FSSE, mais également par le Centre équestre national (NPZ) de Berne ou encore la Zentralschweizerischer Kavallerieund Pferdesportverband (ZKV), cette initiative en faveur du bien-être des chevaux en compétition doit être progressivement étendue à tout le pays. 

Une initiative majoritairement bien accueillie 

“Nous avons le sentiment que les cavaliers répondent positivement”, déclare Sandra Schaefler“En Suisse, il faut un peu de temps pour que les innovations soient acceptées, et elles le sont avec beaucoup de prudence. Cependant, je pense que nous sommes sur la bonne voie avec le «Happy Horse Award», continue Antoinette Lier, heureuse d’être impliquée dans ce projet. “En général, cette initiative est bien accueillie, surtout par les lauréats. Nous avons pu décerner sept prix dans chacun des trois concours que nous avons observé jusqu'à présent.”   

La Suisse, précurseur pour le bien-être des chevaux 

Comme le pointe très justement Richard Corde, président de la Ligue française pour la protection du cheval, “la Suisse a un cadre très strict en termes d’acquisition de chevaux notammentJe ne pense pas que cela soit transposable en France. C’est bien d’avoir des règlements mais il faut aussi réussir à les appliquer. Par exemple, chez nos voisins helvétiques, tous les détendeurs de plus cinq chevaux doivent être en possession d’une attestation de compétences. Ceux qui possèdent plus de onze équidés sont considérés comme professionnels et doivent suivre une formation spécifique. En termes de bien-être pour les chevaux, la Suisse se révèle comme précurseur. Ils ont notamment été les premiers à interdire les rênes allemandes lors des épreuves de saut d’obstacles, les paddocks de détente et pendant les remises des prix, ainsi que l’hyperflexion d’encolure (communément appelée rollkür). Parmi les autres interdictions helvétiques liées aux chevaux, il n’est pas autorisé de “faire avancer ou punir avec des instruments produisant des chocs électriques, tels que éperons, cravaches ou aiguillons électriques” ou encore de “barrer” les chevaux. Le “Happy Horse Award s’inscrit dans la lignée des décisions prises ces dernières années en faveur du bien-être animal. 

Une initiative saluée et importante pour l’image des sports équestres 

Sandra Schaefler le précise bien, il ne s’agit pas toujours de mettre en lumières les mauvais comportements, mais aussi de récompenser les agissements positifs. “Pour non seulement pointer du doigt ces cavaliers qui n’agissent pas dans le respect du bien-être animal, nous voulons aussi créer des émotions positives. C'est aussi pour cela que nous avons créé le «Happy Horse Award». 

Une initiative saluée en France par Richard Corde, ainsi que par Déborah Bardou, chargée de projet bien-être animal à la Fédération française d’équitation (FFE): “Ce sont des initiatives positives et que nous voyons d’un très bon œil.” Les sports équestres sont aujourd’hui conscients que de leur image dépend leur survie. À l’heure où les championnats d’Europe Longines de Rotterdam avaient été perturbés l’an dernier par deux défenseurs animalistes et que plus en plus de voix s’élèvent contre certaines pratiques, mettre en avant des comportements positifs et respectueux permet de montrer à ces associations la volonté du milieu équestre à devenir meilleur, pour son propre bien.  

 




Un concept appliqué à la France?

Une initiative telle que le “Happy Horse Award” n’existe pas encore en France, comme le confirme Déborah Bardou: “À la fédération, nous n’avons pas connaissance d’une initiative similaire à l’échelle nationale. Des discussions sont en cours mais rien de concret n’a été décidé. Cependant, des initiatives privées existent bien, comme celle de Pascale Wittmer, organisatrice de concours au sein de ses écuries à Saint-Aubin-sur-Gaillon, dans l’Eure. Nous avions organisé un «défi bien-être» à l’occasion d’une épreuve Pro 2 à 1,35m l’année dernière. L’objectif était de réaliser le parcours sans cravache, sans éperon et sans guêtres postérieurs. Ce défi a été remporté par Titouan Schumacher, et nous l’organiserons de nouveau cette année, en novembre. Pour être honnête, je dirai que l’accueil des cavaliers a été mitigé, mais ils ont finalement été quelques-uns à jouer le jeu”. Une initiative soutenue par la Ligue française pour la protection du cheval. Son président, Richard Corde, explique d’ailleurs que, selon lui, la France n’était pas pour autant en retard concernant le bien-être des chevaux en compétition. Questionné sur le fait que certaines personnes critiquent une récompense des cavaliers exemplaires alors qu’il faudrait accentuer les sanctions contre ceux qui fautent, le vétérinaire répond qu’en France “des règlements existent, et sont appliqués, même si cela peut parfois différer selon l’interprétation de chacun. 

La difficulté de mettre en place une telle initiative en France 

Richard Corde se dit “prêt à soutenir une initiative similaire. Cependant, notre association est aujourd’hui trop petite pour pouvoir dépêcher des personnes compétentes sur chaque concours. Il pointe ici l’une des difficultés majeures à la mise en place d’une initiative dans notre pays, comme le confirme Déborah Bardou: Nous regardons ce qui se passe dans les autres pays pour voir si cela pourrait être déclinable à notre système, tout en sachant que nous ne sommes pas sur la même échelle compte tenu de notre nombre de compétitions (selon la FFE, il y aurait environ 20 000 journées de concours chaque année dans toute la France, ndlr). Il s’agit aussi selon elle de trouver une solution concernant la logistique. “Cela nécessite des officiels de compétition additionnels. Il ne faudrait pas que ces initiatives-là soient des charges supplémentaires pour les organisateurs de concours. Il faut penser tous les aspects de la mise en place.”  

Quid du soutien de la FFE? “Les soutenir oui, les estampiller FFE c’est autre chose. La labellisation est un autre pas et nous faisons attention à ce que tout le monde aille dans la même direction”, débute la chargée de projet bien-être animal au sein de la FFE“Nous savons que l’image des sports équestres pourrait être mise en péril assez facilement, donc nous sommes vigilants à l’image renvoyée. Il ne faudrait pas que l’initiative mise en place porte préjudice à tous les autres concoursqui n’ont pas envie de s’engager dans les mêmes démarches. Par exemple, une demande d’initiative privée nous était remontée, de labelliser des épreuves «bien-être du cheval». Nous avons trouvé l’idée intéressante, mais la fédération ne peut pas clairement afficher qu’il y a des épreuves «bien-être animal» car cela signifierait que toutes les autres épreuves ne respectent pas ce principeNous ne pouvons pas mettre en défaut les autres organisateurs, car cela ne veut pas dire qu’ils ne font pas bien.”  

Du côté des instances dirigeantes françaises, c’est le souhait d’une initiative collective et nationale qui prédomine, qui émanerait de la FFE elle-mêmeLes initiatives privées nous donnent des idées de ce qu’il pourrait être possible de mettre en place à grande échelle.?Nous souhaitons en prendre le positif pour mettre en place quelque chose qui soit accessible au plus grand nombre pour commencer, de manière à tirer tout le monde vers le haut. Partir de quelque chose de collectif, avec beaucoup de monde, pour que cela ait plus de poids et que les gens se sentent plus investis, plutôt que de partir de cas isolés”, précise Déborah Bardou, tout en ajoutant que la FFE “n’empêchera pas les initiatives privées. Ainsi, une commission sur le sujet devrait voir le jour, permettant à tous les acteurs impliqués de discuter de différentes idées et solutions qu’ils seraient possibles de mettre en place, en lien avec le service compétition de la fédération. “L’idée est aussi de voir ce que cela va donner après une année côté Suisse par exemple, et nous servir de cette expérience pour en tirer le meilleur.”  

Est-ce que sensibiliser les jeunes cavaliers au bien-être des chevaux, en compétition et en général, dès leurs débuts dans les centres équestres ne serait pas aussi une piste de travail? Cela sous-entend également une formation spécifique des moniteurs Le sujet est vaste et le débat est ouvert.