“J'ai toujours su que je finirais par accéder au haut niveau”, Edward Levy (partie 1)

Vainqueur mi-août du Grand Prix CSI 3* du Longines Deauville Classic, deuxième des Grands Prix CSI 5 et 4* à l’Hubside Jumping de Grimaud et 3* à Opglabbeek, pour ne citer que des épreuves majeures, Edward Levy a signé un très bel été. Compétitif dès la sortie du confinement, le cavalier de vingt-cinq ans n’a pas raté grand-chose avec Sirius Black, Rebeca LS, Starlette de la Roque, Uno de Cerisy ou encore Broadway de Mormoulin, tous régulièrement classés à 1,45 m et plus. L’ancien disciple de Sophie Coutureau, Éric Louradour et Patrice Delaveau, désormais entraîné par Bertrand de Bellabre, a grandi, troquant vite sa casquette de jeune Parisien de bonne famille pour celle de cavalier et marchand “ben d’cheux nous”, comme on dit encore parfois en Normandie, sa région d’adoption. Disposant d’infrastructures de rêve louées à la famille de sa compagne, Flore Giraud, au haras de Lécaude, le gendre idéal semble avoir réuni tous les ingrédients pour continuer à progresser et concrétiser ses rêves olympiques. Sans doute sera-ce trop juste pour Tokyo 2021, mais il vise plus sereinement Paris 2024.



© Timothée Taupin

Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce moment? 

Je me sens à la fois concentré, motivé et content. Je prends du plaisir à cheval tous les jours. Compte tenu de la situation sanitaire et économique actuelle, je prends les choses comme elles viennent. En France, nous avons la chance que de super organisateurs se bougent pour que des concours aient bien lieu. Espérons que le sport pourra reprendre plus franchement l’an prochain pour pouvoir mieux planifier et gérer nos chevaux. 

Vous avez d’ailleurs un beau piquet, sans doute le meilleur de votre jeune carrière… 

Oui, il est à la fois performant et varié. Actuellement, j’en ai trois prêts à sauter des Grands Prix CSI 5*: Sirius Black (SF, Calisco du Pitray x Laudanum, Ps), Rebeca LS (SLS, Rebozo LS x Cassini I) et Uno de Cerisy (Open Up Semilly x Siego, AA). J’ai également Broadway de Mormoulin (SF, Kannan x For Pleasure), neuf ans, qui commence à être performant à 1,50m. Il y a évidemment Starlette de la Roque (SF, Jumpy des Fontaines x Kannan), qui se montre toujours compétitive en deuxième cheval dans les grands concours. J’ai aussi trois chevaux de huit ans: Confidence d’Ass (SF, Diamant de Semilly x Berlin), qui a déjà gagné pas mal d’épreuves, S&L Motown (ex-Cresswell LVP, Holst, Casall x Quantum), qui montre de belles promesses, et Catchar Mail (SF, Diamant de Semilly et Katchina Mail par Calvaro), en qui je fonde de grands espoirs. Parmi les plus jeunes, il y a aussi son frère utérin Delstar Mail (SF, Utrillo van de Heffinck), sept ans, très demandé à l’élevage et avec lequel j’ai un excellent sentiment. Les deux ont hérité de Katchina Mail, que j’ai connue et montée sur le plat quand j’étais chez Patrice Delaveau, son respect et une vraie sensibilité. Et depuis un an, j’ai établi un partenariat avec Kathleen et Marc Vanlangendonck, de la Ferme du Seigneur, en Belgique. Cela me permet notamment de monter Hellix du Seigneur (sBs, Curby du Seigneur x Calvaro), un étalon de sept ans qui montre de grandes capacités, Igins du Seigneur (sBs, Inshallah de Muze x Ogano Sitte), six ans, et Junior du Seigneur (sBs, Eternity du Seigneur), frère utérin d’Hellix, âgé de cinq ans. Sincèrement, tous ces chevaux me plaisent beaucoup. 

Comment expliquez-vous votre série de succès en cours? 

D’abord, je monte d’excellents chevaux, qui ont toujours gagné un ou deux flots par concours. Ils sont généralement très respectueux, ce qui est absolument essentiel face aux parcours que nous affrontons quasiment partout aujourd’hui. Désormais, les chefs de piste jouent avec des éléments subtils dans les combinaisons ou en bout de ligne, ainsi qu’avec les temps accordés, ce qui a été manifeste cet été à Grimaud, par exemple. Clairement, les moyens ne suffisent plus. De mon côté, j’ai peut-être gagné en expérience, en recul et en sérénité. Quand j’aborde un concours, j’essaie de rester davantage à l’écoute de mes chevaux que de me laisser envahir par le stress face à la nécessité d’obtenir tel ou tel résultat. Je suis content d’avoir pu les conserver dans un bon état de forme pendant le confinement. Et puis, disposer de trois chevaux de tête permet vraiment de bien programmer et de donner les meilleures chances à chacun de réussir les plus belles performances. 

Vous sentez-vous plus performant dans les barrages qu’il y a deux ou trois ans? 

Je ne sais pas, mais il est sûr que pour finir dans les deux ou trois premiers d’un Grand Prix CSI 4 ou 5* à ce moment-là, je devais sortir mon grand jeu. Aujourd’hui, l’expérience m’aide à envisager cet exercice avec un peu plus de recul. Je prends des risques quand je le juge opportun ; tant mieux si cela paie et tant pis si je me rate. De temps en temps, j’essaie aussi d’adopter une stratégie plus raisonnable. En tout cas, j’ai confiance en mes chevaux et je crois qu’eux aussi. De fait, je crois que c’est le facteur clé de mon équitation. Ce n’est pas une parole en l’air, je fonctionne vraiment comme ça, même si je ne suis pas un éthologue. J’essaie au maximum de travailler sur les points forts de mes chevaux et cherche avant tout à ce qu’ils utilisent leur corps avec relâchement. C’est pourquoi j’aime tant qu’ils soient respectueux. Quand j’entre en piste, je sais que je peux prendre des risques parce que je sens que mon cheval et moi allons tout faire pour que les barres restent sur leurs taquets. 

Cet hiver, j’ai passé un peu de temps chez Steve Guerdat, en Suisse, et j’ai adoré voir un tel champion travailler avec autant de simplicité, cherchant uniquement le confort et la complicité de son cheval à travers des exercices simples. En piste, ses chevaux lui donnent tout. Je ne me permettrai jamais de dire que je fais la même chose, parce qu’il est aujourd’hui l’incontestable numéro un de notre sport, mais je m’inspire de cette philosophie fondée sur la confiance. J’espère que cela se ressent avec Rebeca et Uno, par exemple, que je laisse évoluer à leur rythme et s’exprimer autant que possible comme ils le souhaitent, tout simplement parce qu’ils savent mieux ce qu’ils ont à faire que moi!



“J’ai eu la chance de croiser les bonnes personnes aux bons moments”

© Marco Villanti/Hubside Jumping

Avez-vous toujours su que vous rejoindriez cette élite mondiale, qui fait tourner tant de têtes? 

J’ai toujours su que je finirais par accéder au haut niveau, mais sans jamais mettre de côté la difficulté d’y parvenir. Je savais que le chemin serait dur et qu’il faudrait beaucoup bosser, mais je n’ai jamais douté que j’y arriverais. Je ne saurais pas dire pourquoi, d’ailleurs. Quand je regardais les concours à la télé, à dix ou onze ans, peu après avoir mis le pied à l’étrier, je disais à mes parents que j’y participerais un jour à mon tour. 

Que vous ont apporté vos différents formateurs? 

D’abord, j’ai eu la chance de croiser les bonnes personnes aux bons moments. À treize ou quatorze ans, il y a d’abord eu Sophie et Bruno Coutureau, qui sont d’ailleurs les copropriétaires de Sirius. Avec eux, j’ai appris à prendre du plaisir en selle et aimer mes chevaux. Je les sortais au paddock, les surveillais, les préparais, les bichonnais et les montais. J’avais d’ailleurs la chance d’en monter de bons, comme Iguana de Fontaine (SF, Quicklove Fontaine x Erioso), que Sophie m’a confiée et qui m’a permis de devenir champion de France Cadets (en 2010 à Fontainebleau). Avec le recul, je me dis que j’aurais pu fermer les yeux et réussir à peu près les mêmes parcours! D’ailleurs, à l’époque, j’étais sûrement meilleur les yeux fermés (absolument pas quand on revoit les parcours du couple sur GRANDPRIX.tv !, ndlr)

À seize ans, j’ai rencontré Éric Louradour. Il m’a inculqué la rigueur au service du respect et du bien-être du cheval, auquel il est viscéralement attaché. Techniquement, il est extrêmement rigoureux, notamment dans le travail sur le plat. Je dois avouer qu’il a dû me faire pleurer une fois! Mais il m’a beaucoup apporté et j’ai adoré cette période. Ensuite, j’ai rencontré Sabrine et Patrice Delaveau, qu’Éric m’a présentés. Au départ, je voulais faire un stage, et je suis resté quatre ans. Avec Patrice, j’ai approché le haut niveau comme un étudiant découvrirait son futur métier à travers des travaux pratiques. Je n’ai pas été dépaysé parce qu’il est également un authentique homme de cheval, qui écoute et fait confiance à ses partenaires. Il tisse avec eux une sorte d’entente où chacun confie un peu de lui à l’autre. Il rentrait tard le dimanche soir, arrivait tôt aux écuries le lundi matin et repartait à l’autre bout du monde le mercredi, sans jamais laisser transparaître le moindre stress. Si je n’avais pas regardé le Grand Prix qu’il avait disputé, je ne pouvais pas deviner son résultat. J’essaie de tendre vers cela. En tout cas, j’essaie d’être paisible et serein le lundi. Enfin, je n’oublie pas mon expérience chez Ludger Beerbaum, qui m’a lui aussi énormément apporté en termes de rigueur et de constance dans le travail.

Comment travaillez-vous aujourd’hui avec Bertrand de Bellabre? 

Nous collaborons ensemble depuis quatre ans. Je l’affectionne énormément pour sa simplicité et sa rigueur, toujours au service du cheval. Nous travaillons sur le relâchement du cheval à travers de petits exercices simples. Il est capable de superviser l’ensemble de mon système et de mon piquet. Depuis deux ans, je m’entraîne aussi avec Henk Nooren (formateur au sein de l’encadrement fédéral depuis 2019, ndlr). Parfois, je vais chez lui un ou deux jours. Sinon, lui vient ici ou bien je le retrouve lors de stages fédéraux. Il m’apporte beaucoup, comme je crois qu’il a contribué aux succès de la génération de Pénélope Leprevost, Kevin Staut, Nicolas Delmotte et Simon Delestre. C’est un grand technicien.



“Je suis très l’écoute de ce que je ressens, et cela m’apporte souvent des solutions”

Quid du talent? Pensez-vous en avoir un peu, beaucoup, énormément? 

Il m’est sincèrement impossible d’en juger… Si l’on parle de feeling, oui, sûrement. En tout cas, je suis très l’écoute de ce que je ressens, et cela m’apporte souvent des solutions.

Jeune, vous avez rapidement monté de bons chevaux, à l’instar de Quarto Mail (SF, Cardento x Alligator Fontaine) ou Belle Rock (ISH, Limmerick x Laughton’s Flight), en partie grâce à l’aide de vos parents, Vania et Franck Levy. Alors qu’on aurait pu imaginer que vous en tireriez le maximum, vous les avez finalement vendus assez vite. N’avez-vous pas cherché à gommer l’image de fils de bonne famille que certains ont pu vous coller sur le front? 

Il y a de çà. En tout cas, ces ventes m’ont sûrement aidé à ne pas être catalogué. J’ai pu l’observer par la suite. Pour autant, je n’ai pas cherché à me donner telle ou telle image. J’ai surtout vite mis un point d’honneur à montrer à mes parents que je voulais vraiment exercer ce métier et que j’étais capable de rembourser leur investissement financier dans ma carrière. Ils ont acheté Belle Rock et en partie Quarto, dont Bernard Le Courtois avait gardé quelques parts. Ces très bons chevaux m’ont permis de prendre part aux championnats d’Europe Jeunes Cavaliers, donc nous avons bien fait de les acheter. Ensuite, nous avons reçu une proposition pour Quarto, et mon père m’a transmis une phrase fondamentale: “Dans la vie, il ne faut pas être statique ; il ne faut pas croire qu’on ne retrouvera pas ce qu’on a.” De plus, la forme et la santé des chevaux peuvent être éphémères, alors nous avons correctement vendu Quarto (au marchand belge Gilbert de Roock, ndlr). Quand je suis parti chez Ludger, nous avons vendu Belle Rock avec une petite plus-value. J’ai remboursé mes parents, je suis parti en Allemagne avec une jument confiée, Starlette, et ma carrière a véritablement commencé. 

Par la suite, vous avez aussi monté Urhelia Lutterbach (SF, Hélios de la Cour II x Emilion), amenée au plus haut niveau par Grégory Cottard avant d’être confiée à Kevin Staut puis vendue à l’Américaine Kerry McCahill, ainsi qu’Indigo Blue Biolley (BWP, Chacco Blue x Argentinus), récupéré par Marc Dilasser puis vendu à l’Espagnole Carolina Villanueva. Au-delà des nécessités économiques, dans quelle mesure vous épanouissez-vous à travers le commerce?

Cela fait partie de mon système, et je suis content de voir des chevaux passés chez moi obtenir de bons résultats. C’est gratifiant dans le sens où j’ai l’air de pouvoir en dénicher de bons et bien travailler malgré mon jeune âge. J’ai acheté Urhelia à huit ans, en collaboration avec Simon Lorrain (qui l’a montée de fin 2014 au printemps 2016, ndlr), un ami et partenaire très précieux dans la détection, le commerce et la formation. C’était une force de la nature, une vraie machine ! Il m’a fallu une petite année pour parvenir à obtenir des sans-faute à 1,40m avec elle, puis elle a franchi un cap. En 2017, nous avons participé à la Coupe des nations du CSIO 3* de Drammen (conclue avec huit puis quatre points, ndlr), où l’équipe de France a terminé troisième. Les portes du haut niveau se sont entrouvertes, j’avais même la possibilité de participer au CSIO 5* de La Baule, mais nous avons reçu une belle offre, et l’avons vendue. Pour pérenniser mon entreprise, j’en ai fait de même avec Indigo Blue Biolley, Absolute du Mio (OC, Mylord Carthago x Cylverado d’Inxent, Henson, qui évolue en CSI 3* avec l’Américaine Alessandra Volpi, ndlr), Venezia d’Elke (SF, Toulon x Royal Feu, jument de tête de Charlotte Léoni, ndlr) ou encore Drag du Buisson (Z, Dutch Capitol x Artos, vendu en début d’année à Sadri Fegaier, ndlr)

Si j’ai des écuries garnies de chevaux prometteurs, grâce à des gens qui me font confiance, c’est parce que mon système n’est pas statique. Mes propriétaires savent qu’ils peuvent à la fois vivre du beau sport et faire du commerce. J’ai souvent expérimenté le sentiment de perdre un bon cheval, affectivement et sportivement, mais c’est ainsi qu’on construit une carrière de cavalier. L’exemple de Grégory Wathelet parle de lui-même : c’est un cavalier qui a toujours vendu beaucoup de chevaux, et qui a aujourd’hui un piquet extrêmement étoffé.

La deuxième partie de cet entretien, paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX (n°120), sera publiée demain.