Jean-Maurice Bonneau revient sur l'actualité de la semaine : Flipper d'Elle, Andy Smaga et le reconfinement
Parmi les informations de cette semaine, deux d’entre-elles ont particulièrement touché Jean-Maurice Bonneau : la disparition de Flipper d’Elle et le décès d’Andy Smaga.En tant que sélectionneur de l’équipe de France de CSO, Jean-Maurice Bonneau avait détecté le potentiel de Flipper d’Elle*HN et avait su faire confiance au couple qu’il formait avec Laurent Goffinet. Une confiance bien placée puisque Laurent et Flipper feront partie des piliers de l’équipe, avec plusieurs victoires en Coupes des nations et des participations aux championnats d’Europe de San Patrignano 2005 et aux Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle 2006. Andy Smaga nous a quittés ce lundi, à l’âge de soixante-quinze ans. Ancien directeur de Bose France, Andy Smaga avait créé la Team Bose, constituée de Jean-Maurice Bonneau, Roger-Yves et Olivier Bost, et avait été copropriétaire d’Urleven Pironnière*Bose, le meilleur cheval de la carrière de Jean-Maurice Bonneau.L’ancien patron des Bleus revient également sur la crise liée à la covid-19 et confie ses inquiétudes concernant les sports équestres et l’équitation dans son ensemble.
Flipper était un cheval spécial qui a marqué les esprits
Grand Prix Info : Vous avez sélectionné de nombreuses fois Laurent Goffinet et Flipper d’Elle*HN en équipe de France. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire confiance en ce cheval atypique et à son cavalier, Laurent Goffinet, totalement inexpérimenté à ce niveau ?
Jean-Maurice Bonneau : Nous étions très proches des Haras nationaux, qui avaient un réservoir de très bons chevaux. On avait un très bon contact avec les responsables des HN, dont Didier Domerg et Emmanuelle-Bour, avec qui on faisait le point chaque année sur les chevaux, en essayant de détecter les jeunes qui avaient un potentiel pour l’équipe de France. On peut dire ce qu’on veut des HN, mais à cette époque, c’était le plus gros propriétaire de chevaux en équipe de France. Il y a eu Apache d’Adriers et Gracieux Ardent avec Jacques Bonnet, Si Tu Viens et Arpège Pierreville avec Julien Epaillard, First de Launay avec Florian Angot, Luccianno avec Nicolas Delmotte, et Flipper.
On avait repéré Flipper et certains se sont posé la question de retirer le cheval à Laurent Goffinet pour le confier à un cavalier plus expérimenté. Je suis allé voir Laurent pour savoir quels étaient ses objectifs et je lui ai posé la question de savoir s’il était prêt à s’investir et se structurer pour tourner à haut niveau et en équipe de France. Sinon, nous devrions lui retirer le cheval, qui présentait un gros potentiel, pour le confier à un cavalier de l’équipe de France.
Laurent m’a regardé avec des grands yeux en disant qu’il ne rêvait que de ça. Je lui ai donc dit qu’il allait garder son cheval, que nous allions l’accompagner et l’aider, et je suis retourné à la Fédé en leur disant de lui donner sa chance. D’ailleurs, je n’ai jamais trop aimé ces transferts de chevaux, qui n’ont pas toujours bien marché.
Laurent a joué le jeu à fond et lui et Flipper ont été des très bons serviteurs de l’équipe de France.
GPR : Flipper était de petite taille, est-ce que cela a pu vous faire peur quant à sa capacité à être performant au plus haut niveau ?
J-M.B. : Au moment où j’ai eu la discussion avec Laurent, je savais que le cheval pourrait sauter au plus haut niveau, on l’avait déjà vu sur des bons nationaux à 1,50m. Mais sa petite taille ne m’a jamais fait peur. La vraie taille, ce n’est pas la hauteur au garrot, c’est l’amplitude de galop. Quand ils ont l’amplitude et l’explosivité, ce n’est pas un problème. C’est un cheval qui avait une énergie incroyable, un style fantastique et une vitesse pour décoller du sol qui était impressionnante. Quand on parle d’explosivité, je pense qu’il la symbolisait parfaitement.
En piste, c’était un lion, mais aux soins et à pied, c’était un cheval gentil et calme.
C’était Dr Jekyll et Mr Hyde et sa qualité, c’était cette énergie en piste. Ce qu’il fallait, c’était trouver le bon dosage avec cette volonté ; il en fallait assez, mais pas trop. C’était comme le lait sur le feu, il fallait le surveiller un peu.
Il est difficile de dire ce que serait devenu ce cheval-là si on avait voulu le faire rentrer dans un moule, mais je pense qu’il faut savoir s’adapter aux chevaux. Flipper, il fallait savoir l’interpréter et je suis convaincu que si on avait voulu le faire rentrer dans un moule, il aurait perdu sa qualité, cette envie de bien faire en piste.
Flipper, ça a été une complicité et c’est une belle histoire que le cheval meure avec son cavalier, qu’il ait pu rester avec lui. On ne peut pas parler de Flipper sans parler de Laurent, et inversement.
GPI : Quels souvenirs gardez-vous de Flipper ?
J-M.B. : S’il y a une image que je retiens de ce cheval-là, au-delà de sa qualité de saut, c’est son regard. J’ai un privilège car je suis un des rares à pouvoir voir leur regard juste avant de rentrer en piste. Et, par exemple, je me souviens du regard de Flipper à l’entrée de piste à Aix-la-Chapelle, quand il scrutait tout, les tribunes, la piste et qu’il se mettait déjà dans son parcours, c’était impressionnant et ça m’a marqué.
Après, au niveau résultats, je me souviens par exemple de la Coupe des nations de Dublin ou des championnats d’Europe de San Patrignano, où il avait fait un bon début de championnat, même si ça a été moins bien en finale. Je pense quand même que pour les tout gros championnats, son manque de discipline pouvait engendrer des fautes à un moment donné. Dans une équipe, ce couple était une valeur sûre. Laurent était un garçon facile à manager, ce n’était ni un caractériel ni une diva, et Flipper, dans les Coupes des nations, c’était double sans-faute ou zéro plus quatre, il n’y avait pas de mauvaise surprise. C’est un cheval qui a vraiment fait sa part pour l’équipe de France et il était archi-présent dans les équipes de mon système.
Ça fait partie de mes satisfactions d’avoir pu emmener quelqu’un comme Laurent à ce niveau-là. Et aujourd’hui, on le voit encore à haut niveau, donc c’est qu’il a su capitaliser là-dessus et continuer à évoluer. De temps en temps, j’ai continué à travailler un peu avec Laurent et j’ai vu Flipper au pré l’année dernière et j’étais heureux de le voir et d’aller lui parler. C’était un cheval spécial, qui a marqué les esprits et il faut des chevaux comme ça qui restent dans l’esprit des gens.
Je dois vraiment beaucoup à Andy
GPI : Vous avez bien connu Andy Smaga, qui a été l’un de vos sponsors et le copropriétaire d’Urleven Pironnière. Comment l’avez-vous rencontré et comment a commencé votre partenariat ?
J-M.B. : Un samedi, il y a un gars qui se pointe chez moi, avec sa casquette sur la tête et sa gamine, Deborah. Il me dit qu’il cherchait quelqu’un pour faire travailler sa fille à poney et qu’on lui avait parlé de moi. J’ai fait travailler Déborah et nous sommes devenus copains avec Andy, mais je ne savais pas du tout ce qu’il faisait. Un jour, il me dit qu’il travaillait pour une compagnie américaine, Bose (spécialisée dans la construction d’enceintes et de systèmes audios haut de gamme), et qu’il avait eu une idée d’un plan de com autour des chevaux. Je lui ai demandé comment il allait vendre ça à ses patrons en Europe et aux Etats-Unis. Il m’a répondu que la musique de qualité et l’équitation, c’est un peu la même chose, quand c’est bien fait, on ne se rend pas compte de la difficulté pour arriver à ça. C’est la recherche de l’excellence, le plaisir d’écouter de la musique ou de regarder un beau parcours et on ne se pose finalement plus la question de savoir si c’est difficile techniquement ou pas.
C’était le patron de Bose France et il a donc créé le Team Bose, avec Bosty, son frère Olivier, et moi qui portions ses couleurs et il était également partenaire dans des concours. L’idée en ayant trois cavaliers, c’est qu’il y en aurait toujours un qui passerait dans les concours, ce qui permettrait de communiquer. Il avait créé une lettre interne sur la team Bose et tous les collaborateurs et magasins recevaient ça.
Nous avons acheté Urleven Pironnière avec Andy, à l’âge de trois ans, et c’est génial parce qu’on a entièrement formé ce cheval jusqu’à aller aux championnats d’Europe ensemble, c’est une belle histoire.
GPI : Pouvez-vous nous parler de cet homme que l’on connaît finalement assez peu, alors qu’il a fait beaucoup pour les sports équestres…
J-M.B. : Andy, c’était quelqu’un de très humble et très discret, mais il est arrivé avec des idées innovantes et on peut lui rendre hommage. Avant lui, je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi intelligent et aussi vif d’esprit, sans jamais la ramener. Andy était un homme fiable, passionné et qui n’était jamais dans le conflit. Il vivait sa passion, mais ne s’en servait pas pour se valoriser et restait toujours très discret. Andy était également quelqu’un qui avait une bonne observation des chevaux. Après moi, il a continué avec Jérôme Hurel, et notamment Quartz Rouge, et il a aidé Déborah qui a son centre équestre. Malheureusement, il n’était pas en très bonne santé depuis quelques années.
Avec lui, c’est un sponsoring et un partenariat qui ont duré, et je lui dois vraiment beaucoup par rapport à ma carrière.
Je suis inquiet pour notre filière
GPI : Cette semaine, le président de la République a décrété un nouveau confinement. Comment percevez-vous la situation par rapport aux sports équestres et à la filière en général ?
J-M.B. : Je suis déjà surpris qu’il n’y ait pas eu plus de casse. Au printemps, il n’y a pas eu de concours, puis ça a repris de façon sporadique, donc les cavaliers de haut niveau ont eu de gros manques à gagner. Je discutais il y a peu avec Thomas Fuchs et il me disait que, l’année dernière, son fils Martin avait gagné 2,3 millions en concours et que cette année, il allait arriver péniblement à cinq cent mille euros. Et, en discutant avec pas mal d’autres cavaliers, c’est le même problème. Ils ont beaucoup moins gagné avec des frais de fonctionnement aux écuries et un travail qui sont toujours les mêmes.
A la Grande Semaine, j’étais un peu rassuré parce que j’ai vu beaucoup de monde, des étrangers qui venaient voir les chevaux, donc les gens ont continué de bosser et de vendre et acheter des chevaux.
Mais, avec la deuxième saucée, s’il faut attendre le printemps pour retourner en concours, il y a de quoi s’inquiéter. Maintenant, je ne sais pas lire dans une boule de cristal et je n’ai pas idée de comment tout ça va se passer. Parce que derrière, les concours reposent quand même sur la bonne santé d’entreprises qui les sponsorisent et, bien évidemment, il y a des entreprises qui seront impactées et je ne suis pas certain que ça va pouvoir repartir comme avant du jour au lendemain. Il va falloir que la machine dans son ensemble se remette en marche.
Et je n’oublie pas, bien évidemment, toutes les autres structures, comme les cavaliers de jeunes chevaux, les écuries de propriétaires, les centres équestres… ça doit être compliqué avec des masses salariales et des frais fixes qui sont importants.
Quand on fait ce métier-là, on a tous la capacité de rebondir, car ce n’est pas un long fleuve tranquille. Mais là, c’est toute la machine qui se grippe et c’est ça qui est inquiétant.
De plus, lors de la première vague, on était au printemps et on allait vers les beaux jours, avec les virus qui deviennent moins virulents. Là, on est fin octobre et on va vers les mauvais jours, donc ça peut durer six mois et on va être dans une vraie récession économique. Donc, je suis inquiet pour notre filière et l’économie en général.