Hervé Godignon, une grande gueule au coeur tendre
Charismatique, passionné et sympathique, Hervé Godignon est l’un des cavaliers les plus emblématiques de l’histoire de l’équipe de France de saut d’obstacles. Le Normand a traversé les décennies avec les mythiques La Belletière, Quidam de Revel, Viking du Tillard, Calypso d’Herbiers et tant d’autres. À soixante-sept printemps, le marchand, éleveur amateur, consultant sur RMC Sport et ancien candidat à la présidence de la Fédération française d’équitation est devenu mi-février sélectionneur national de la Colombie. Portrait d’un passionné au caractère bien trempé.
“J’ai toujours été un fort en gueule“, avoue Hervé Godignon dans un grand sourire devant sa tasse de café, dans une brasserie de la porte de Saint-Cloud, à quelques heures du deuxième acte de la finale de la Coupe du monde Longines, qu’il commentera en direct sur RMC Sport. “J’ai été qualifié de râleur parce que j’étais celui que poussaient tous ceux qui n’en avaient pas assez dans le pantalon en disant : “Vas-y, toi !””, justifiait-il dans un entretien accordé à GRANDPRIX en 2013, contestant sa réputation de râleur professionnel. “Tout le monde la boucle et attend que quelqu’un prenne la parole. Ces dernières années, quand je voyais ce genre de choses arriver, je disais : “Non, allez-y les gars, c’est votre tour maintenant !””, ajoutait-il. Homme de caractère et de convictions, épris d’un sens aigu de l’intérêt général, le sexagénaire a surtout été l’un des plus illustres cavaliers de l’équipe de France de saut d’obstacles. Né le 22 avril 1952 à Paris de deux parents journalistes, il perd son père très jeune et grandit en pension, où il apprend le sens de l’intérêt collectif. “Journaliste parlementaire, ma mère travaillait la nuit. L’année précédant le BEPC (brevet d'études du premier cycle, équivalent de l’actuel brevet des collèges, ndlr), en 1968, je suis rentré à la maison, à l’angle de la rue de Ponthieu et de l’avenue Franklin-Roosevelt, tout près des Champs-Élysées et du Grand Palais.” Pur produit de la capitale, le jeune homme va bien vite se convertir en rat des champs, mu par un coup de foudre pour le cheval, à douze ans. “Le premier contact a été un tel choc que je ne voyais pas ma vie en dehors des chevaux.”
Son diplôme en poche, sa mère l’envoie chez le maître Jean Couillaud, fondateur de l’École professionnelle d’homme de cheval, installée à Vincennes puis à Poigny-la-Forêt. “C’était très militaire, très dur, impensable aujourd’hui. C’était comme un test pour ma mère, qui ne m’a absolument pas empêché de faire ce métier. Elle s’en est plutôt félicitée par la suite!” Hervé conserve tout de même quelques menus plaisirs citadins. “Pendant des années, quand j’étais stagiaire à droite ou à gauche, je revenais chez maman pour laver mon linge. Avec un petit billet, j’allais traîner dans le quartier. J’étais capable de passer une après-midi au cinéma et d’enchaîner trois ou quatre séances, pour prendre un peu de ville avant de repartir.”
Formé à la dure, le jeune homme poursuit son itinéraire chez Hubert Parot, champion olympique par équipes en 1976, où il croise notamment Gilles Bertran de Balanda, avec lequel il défendra souvent la France en Coupes des nations. “La première fois que je l’ai vu, au début des années 1970, je lui ai acheté une jument pour une cliente. Nous avons vécu de grands moments ensemble et nous nous sommes bien amusés aussi! Il a toujours porté la veste bleue avec beaucoup de fierté. Hervé est un vrai patriote. Quand nous avons été champions du monde en 2002, il a été le premier à venir nous saluer avec une banderole à notre descente d’avion!”, se souvient le Provençal.
À seulement vingt-deux ans, Hervé reprend la propriété de Colette Ducornet, près de Gisors dans l’Eure, et s’installe avec son amie Viviane et quelques employés. “Au départ, je n’avais pas d’autre ambition que de devenir moniteur. Ma carrière sportive est le fruit de bonnes rencontres intervenues aux bons endroits et aux bons moments.” Aux rênes de Cupidon Fou (Ps, Dan Cupid x Tornado) et Électre II (SF, Monceaux, Ps x Séducteur, AA), le cavalier remporte rapidement de très belles épreuves, dont le Grand Prix du CSIO de La Baule en 1976 avec le premier et le Critérium des six ans puis le championnat de France Première Catégorie en 1978 avec la seconde, ce qui reste l’un de ses plus grands souvenirs. “Électre est la jument qui m’a affectivement le plus marqué, parce qu’elle a été ma première grande réussite. Je l’ai débourrée à trois ans et je l’ai amenée jusqu’en Grands Prix.” Le début d’une longue série de succès... Quatre autres titres nationaux suivront: avec La Belletière (SF, Pot d’Or, Ps x Starter) en 1987 et 1989, Unic du Perchis (SF, Hafiz d’Escage, AA x Loup de Mer) en 1995 et Viking du Tillard (SF, Narcos II x Galoubet A) en 1996.
L’ARRIVÉE EN ÉQUIPE DE FRANCE
Hervé contribue également à la première victoire française dans la fameuse Coupe des nations d’Aix-la-Chapelle, en 1980 - “un événement national, à la suite duquel on nous avait même remis le Poireau”, l’ordre national du mérite agricole. Marcel Rozier, qui lui a accordé sa première sélection en équipe de France, décrit un “super pilote, un gagneur avec beaucoup de sang-froid. Un vrai cavalier de Coupe des nations. Hervé est aussi un mauvais perdant. Après une défaite, il restait un moment dans son coin. Il a du caractère, comme tous les champions. Il fait très bien travailler ses chevaux, et a surtout su les former.” C’est aussi cette qualité que retient son voisin Olivier Guillon. “Il est capable d’obtenir en quelques semaines ce que d’autres réussissent en quelques mois. Il s’informe et lit beaucoup aussi. Quand j’avais quinze ans, il avait sept ou huit chevaux de Grands Prix. Il est de ceux qui ont le plus gagné d’épreuves.” Le Normand ne croit pas si bien dire puisque son aîné a longtemps détenu un record avec vingt-sept victoires internationales accumulées en une saison avec Khadidja (AA, Brick, AA x Palpitant, Ps), en 1981!
Dur, sévère. Ces adjectifs ont régulièrement nourri les conversations autour d’Hervé Godignon, qui n’hésitait pas à monter les chevaux les plus caractériels. Par exemple, “avec La Belletière, c’était je t’aime, je te hais!”, raconte l’intéressé. “Elle ne mangeait jamais de sucre avec son groom. Moi, je venais avec un sucre dans la main, et elle le prenait. Il y a pu y avoir des séances un peu dures, mais dès que la jument arrivait dans le manège, elle venait vers moi. Or, un cheval ne vient pas vers son bourreau! J’ai toujours eu des relations vraies. On ne peut pas tricher avec un cheval. On peut tromper le public avec une caresse, mais pas lui. Quand je sentais l’énervement arriver, je descendais, mettais le cheval au paddock ou l’envoyais en balade et ne le reprenais que l’après-midi. Il n’y a rien de constructif dans l’énervement. Et il faut remettre les choses dans leur contexte: il y a vingt-cinq ans, on ne m’amenait que les repris de justice. Je devais prendre ce qu’on me donnait si je voulais monter. Quand j’ai commencé à avoir le choix, j’en ai refusé quelques-uns. J’aime les chevaux et la simplicité. Je n’aime pas le conflit, mais quelquefois il est inévitable et je ne le refuse pas.” “Oui, il est dur, mais contrairement à d’autres, il n’a jamais fait semblant en concours, pour se venger en cachette à la maison”, assure son ancienne élève, la Franco-Suissesse Marie Pellegrin, pour qui Hervé a joué un rôle important. “Il aime profondément ses chevaux. Et c’est réciproque. Dès qu’il arrive aux écuries, tous sortent la tête du box. Pas un n’a peur de lui. En monter après lui, c’est le rêve. Je m’en rendais compte avec Admirable (Han, A Jungle Prince x Rhytmo). Quand il le montait ne serait-ce que vingt minutes le premier jour d’un concours, cela changeait tout!” “Il aime les chevaux soumis et légers à la main, pour gérer les équilibres latéraux et longitudinaux. Il a réussi avec beaucoup de chevaux différents, ce qui trahit un vrai talent”, salue Patrick Caron, sélectionneur des équipes de France de 1985 à 1998. “Il est parfois trop perfectionniste”, avance Gilles de Balanda.
Malgré ses dizaines de victoires en Grands Prix et plus de cent Coupes des nations disputées, Hervé n’a jamais atteint le statut de divinité dans le temple de sa discipline, échouant à deux reprises à inscrire son nom sur l’immense plaque d’honneur du parc de la Soers, à Aix-la-Chapelle. “Mes deux deuxièmes places dans le Grand Prix, je les considère comme deux victoires ! La première fois, en 1995, je ne peux rien me reprocher. Jean-Claude van Geenberghe est parti juste après moi au barrage. Quand nous nous sommes croisés à l’entrée de la piste, il m’a demandé s’il pouvait retirer une foulée dans la dernière ligne. Je lui ai dit: “Sans aucun problème...” et il m’a mis douze centièmes dans la vue. (rires) C’est tout moi ! Si je pouvais remonter le temps, j’en referais autant. Cette cérémonie des adieux au stade... Mes poils se hérissent rien que d’y repenser! À Aix, on comprend ce que peut ressentir un joueur de foot.”
“JE ME SUIS SPORTIVEMENT RÉALISÉ”
Accompagné de La Belletière, de l’extraordinaire Quidam de Revel (SF, Jalisco B x Nankin), Twist du Valon et Unic du Perchis, Hervé décroche quatre médailles par équipes en grands championnats au fil de sa carrière (voir palmarès), frôlant un podium individuel aux Jeux olympiques d’Atlanta en 1992 avec Quidam, futur chef de race mondial. “C’est plus un regret qu’une frustration”, dit-il, déplorant de ne jamais être parvenu à glaner une breloque individuelle. “Je me suis sportivement réalisé. Cela ne remet en cause ni mon égo, ni la reconnaissance de la profession.” Après avoir disputé ses derniers grands championnats en 2006 aux Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle avec Obélix (KWPN, Burggraaf x Nimmerdor), Hervé prend progressivement sa retraite sportive à partir de 2011. Il continue à acheter, vendre ou confier des chevaux dont Carolus (Z, Canabis Z x Toulon), qui dispute les championnats d’Europe en 2013 avec Henri Kovacs sous les couleurs de la Finlande.
En profond désaccord avec la politique menée par Serge Lecomte, président de la Fédération française d’équitation (FFE), celui qui fut président de l’Association des cavaliers de saut d’obstacles de France de 2002 à 2008 tente de construire une alternative en s’appuyant sur les principes de démocratie participative à travers les réseaux sociaux. Début 2013, encouragé par quelques proches et amis, il crée sur Facebook un groupe nommé “Les Indignés de la politique fédérale” qui attire rapidement des milliers de personnes. Trois ans plus tard, poussé par de nombreux soutiens, il conduit une liste à l’assemblée générale élective de la FFE, lors de laquelle il obtient 39,19% des voix, contre 59,03% à Serge Lecomte.
Entre-temps, le passionné entraîne l’équipe finlandaise de saut d’obstacles, qu’il mène jusqu’aux Jeux équestres mondiaux de Normandie en 2014, et coache individuellement quelques cavaliers, dont Timothée Anciaume, Nicolas Delmotte, Eugénie Angot, Marie Pellegrin, Maelle Martin et Jérôme Hurel. “Certaines personnes ont plus des capacités pédagogiques et d’empathie que d’autres”, explique l’intéressé. “Je crois avoir été à bonne école. Je n’ai jamais eu de coach, j’ai eu un maître, puis j’ai appris sur le tas, en lisant, en regardant, en parlant. Mes maîtres s’appellent Jean d’Orgeix et Nelson Pessoa. Puis, à leur manière, tous mes élèves m’aident à apprendre, à travers les questions qu’ils me posent. Le principe de l’instruction est d’expliquer, de démontrer et de faire exécuter.” Jean-Maurice Bonneau, qui a partagé avec lui la médaille de bronze des championnats d’Europe de Saint-Gall en 1995, avant de le diriger en tant que chef d’équipe, a aussi suivi ses cours. “À cheval, mais aussi au golf! C’est un très bon joueur, d’ailleurs. Il a vraiment un sens très développé de la pédagogie et de l’empathie. En 1995, j’étais le petit nouveau de l’équipe de France. Il a été très attentif et présent pour moi. Quand je l’ai dirigé, il m’a fallu un moment pour comprendre, et lui faire comprendre, que j’étais le patron. Il y a eu deux ou trois frottements, mais une fois que les rôles ont été redéfinis, la relation a été facile.” Depuis janvier 2019, c’est au service de la Colombie que le multi-médaillé met à profit ses expériences en tant que sélectionneur et chef d’équipe, succédant à son ancien coéquipier Jean-Marc Nicolas.
AU REVOIR PORT-MORT
Son équilibre, l’homme le trouve aussi aux côtés de son épouse, une Corse au caractère bien trempé pour qui le coup de foudre fut immédiat, en 1992. Séduite par son charisme et “son honnêteté intellectuelle, sa générosité et ses pattes d’oie autour des yeux”, Olivia Angeletti temporise avant de se livrer totalement à lui. “Quand je l’ai rencontré, il était au sommet de sa gloire avec Quidam et La Belletière. J’ai juste voulu savoir si j’étais tombée amoureuse de l’homme ou de ce qu’il représentait. Je suis partie trois mois, pour voir.” Elle en revient plus éprise et convaincue, cesse de monter en compétition et accompagne son futur époux dans tous les concours. “Olivia a toujours une vision très juste des chevaux, des parcours, des cavaliers... À l’époque où l’équipe de France était entraînée par Patrick Caron, son grand jeu, qui agaçait Patrick, consistait à faire ses sélections elle-même. Comme par hasard, ça tombait juste à chaque fois!”
À soixante-huit ans pour lui, et cinquante pour elle, l’espoir de choyer leur propre enfant s’est éloigné. “Je me suis marié avec Olivia à quarante ans. Nous avions envie de vivre pour nous. Le temps a filé très vite, et le train est passé. Et puis avec le recul, quand je vois le monde que nous allons laisser aux jeunes générations, je ne suis pas sûr de le regretter... C’est un peu angoissant.” Quoi qu’il arrive, il ne suivra jamais plus le rythme effréné et bouillonnant du haut niveau. “Mon environnement ne donne plus envie de partir et ma femme (souffrant d’une sclérose en plaques, ndlr) a peut-être besoin de moi plus souvent à la maison que dans le passé”, disait-il déjà en 2013. Pendant vingt-cinq ans, le couple s’est épanoui au paradisiaque haras de Sea Bird, acquis en 1993 par l’intermédiaire du marchand de chevaux Régis Spillemaecker. Aspirant désormais à lever un peu le pied, le Normand d’adoption s’est récemment résolu à se séparer de son magnifique domaine situé à Port-Mort, en bord de Seine, dans l’Eure, où il a organisé de beaux CSI durant la décennie 2000. “Je l’ai mis en vente et j’ai placé mes chevaux dans des écuries ou chez des amis. Je désespérais de trouver un successeur, ou un remplaçant. Ce n’est pas facile à trouver…”, conclut non sans regret le sexagénaire.
“LE SPORT, C'EST COMME UN ENFANT”
“Désormais, les saisons ne s’arrêtent plus et l’enchaînement des concours est devenu infernal. Je ne vois pas de solution immédiate ; il y a une telle concurrence et tant d’argent en jeu… Le sport, c’est comme un enfant: quand on le voit tous les jours, on ne le voit pas grandir. Lorsque j’étais encore pleinement cavalier de haut niveau, la construction des parcours commençait déjà à évoluer. Les barres s’allégeaient et les parcours devenaient plus techniques. En tant que chef de piste, Philippe Gayot a profondément contribué au renouveau de l’équitation française parce qu’il a modernisé les constructions, ce qui nous a obligés à travailler davantage techniquement. Nous avons vu venir cette évolution. La fonction créant l’organe, l’élevage aussi a évolué. Les chevaux d’aujourd’hui sont naturellement beaucoup plus respectueux et rapides. On fait naître des produits avec un maximum de sang, alors qu’on avait autrefois tendance à privilégier les moyens purs.”
PALMARÈS
Jeux olympiques (deux participations): médaillé de bronze par équipes et quatrième en individuel à Barcelone en 1992 avec QUIDAM DE REVEL.
Championnats du monde (deux participations): vingt-cinquième en individuel à Aix-la-Chapelle en 2006 avec OBELIX.
Championnats d’Europe (cinq participations): médaillé d’argent par équipes et onzième en individuel à Rotterdam en 1989 avec LA BELLETIÈRE, sixième en individuel à La Baule en 1991 avec QUIDAM DE REVEL, médaillé de bronze par équipes à Gijón en 1993 avec TWIST DU VALON, médaillé de bronze par équipes à Saint-Gall en 1995 avec UNIC DU PERCHIS.
Finales de la Coupe du monde (huit participations) : cinquième à Göteborg en 1991 avec LA BELLETIÈRE.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°111.