“Le secret est d'avoir un système”, Paul Schockemöhle
Paul Schockemöhle est une véritable légende. Pas uniquement pour les trois championnats d’Europe qu’il a remportés avec Deister, entre 1981 et 1985, ou pour la médaille de bronze par équipes glanée aux Jeux olympiques de 1976 avec Agent, ni même pour les trois Grands Prix d’Aix-la-Chapelle gagnés avec Talisman (1974), El Paso (1979) et Deister (1984). En Allemagne, Paul Schockemöhle et l’équitation ne font qu’un, tout simplement. Brillant entrepreneur dans la logistique, les transports, le commerce et l'élevage, le frère cadet d’Alwin, autre légende, a su organiser sa passion comme une véritable entreprise, marquant l’évolution des sports équestres dans son pays, mais aussi dans le monde entier. Très grand cavalier, le septuagénaire a formé de nombreux champions, à l’image de Ludger Beerbaum et Franke Sloothaak, préparé l’équipe saoudienne pour les Jeux olympiques d’Atlanta, puis celle d’Ukraine à Londres et donné naissance à plusieurs chevaux olympiques au sein de son immense élevage. Fondateur du stud-book Oldenbourg International, il possède l’une des plus grandes stations de monte du monde, où œuvrent des étalons de réputation internationale, aussi bien en saut d’obstacles qu’en dressage. Il organise également de prestigieuses ventes aux enchères. Bref, Paul Schockemöhle est un monument dont la parole et les idées ne manquent jamais d’intérêt.
Cet article d'archive est tiré du numéro GRANDPRIX International n°82, paru en août 2014.
Vous représentez le lien parfait entre les sports équestres et l’élevage de chevaux de sport. L’un ne va pas sans l’autre?
Aujourd’hui plus que jamais, le sport et l’élevage doivent être intimement liés. Ils constituent les deux faces d’une même médaille. Les parcours de saut d’obstacles demandent des chevaux toujours plus rapides et plus proches du sang. L’élevage produit des chevaux toujours plus performants. Les éleveurs sont constamment à la recherche des meilleurs croisements. Ceci est valable toutes disciplines confondues. En dressage et en saut d’obstacles, les chevaux actuels sont extrêmement différents de ce qu’ils étaient il y a seulement quelques années. Le monde est en constante évolution.
À qui revient le mérite de toutes ces améliorations?
Aux éleveurs en général, et non aux stud-books. Ce sont eux qui opèrent les principaux choix. De nombreux éleveurs suivent les étalons en compétition et orientent leurs choix sur les plus brillants. Les chevaux d’aujourd’hui ont tous de bonnes origines et sont tous des fils de champions. Il faut donc s’appuyer davantage sur les résultats que sur la mode. Ceci est, selon moi, une bonne chose pour l’élevage.
Vous avez-vous-même largement misé sur l’élevage, avec l’acquisition, il y a quelques années, du domaine de Lewitz, en Allemagne de l’Est…
Lewitz est un peu mon rêve, ma passion. Cela ne m’a pas empêché de chercher à l’organiser à la manière d’une entreprise. Trois mille hectares et plus de sept-cents naissances par an, c’est tout sauf une plaisanterie! J’estime que c’est par l’élevage qu’il faut commencer. Ensuite, les jeunes chevaux doivent tous être éduqués de la bonne manière. Nous ne pouvons pas penser uniquement à élever des chevaux olympiques. Nous avons besoin de bons chevaux de tous les niveaux. Je suis très satisfait des résultats de Lewitz. Parmi nos nombreuses naissances, nous avons eu Sandro Hit (Old, Sandro Song x Ramino), champion du monde de dressage (des chevaux de six ans, ndlr).
Par le passé, vous vous occupiez essentiellement de sport, puisque pratiquement toute l’équipe allemande était installée dans vos écuries. Pourquoi vous êtes-vous davantage orienté vers les jeunes chevaux?
Il y a vingt-cinq ans, les choses étaient très différentes. Nous arrivions à bien gérer plusieurs activités diverses en même temps. Aujourd’hui, ce serait impossible, nous ne ferions rien de bien! Ludger Beerbaum, Franke Sloothaak, Otto Becker et Dirk Hafemeister étaient jeunes. J’avais envie de leur transmettre mon expérience. Ce furent des années fantastiques, c’est vrai, mais je le répète, aujourd’hui, tout cela ne serait plus possible. Nous préférons donc nous concentrer sur l’élevage et sur les jeunes chevaux.
“Un mauvais cavalier peut gagner une épreuve dans un concours, mais pas les Jeux olympiques”
Comment cet élevage est-il organisé?
À Lewitz, naissent donc environ sept cents poulains par an. 15% sont issus de lignées de dressage. Les autres sont destinés au saut d’obstacles. Les poulinières doivent posséder de nombreuses qualités, car elles transmettent beaucoup. Ce sont toutes des sauteuses: soit elles ont été performantes en concours, soit elles ont démontré de grandes qualités au saut en liberté. Je suis très attentif au modèle, aux moyens et à la santé. Le choix de l’étalon se fait de la même manière. Je privilégie les étalons de concours sains, car la santé est vraiment très importante. Les choix que nous avons opérés ces dix dernières années se sont révélés excellents. Nous avons utilisé Quick Star, Baloubet du Rouet, Kannan et Cento, qui sont, aujourd’hui, unanimement reconnus comme de grands étalons. Environ la moitié de nos poulains naissent par transfert d’embryon. De cette manière, les meilleures juments peuvent donner plusieurs poulains chaque année.
Quel est votre secret pour produire tant de champions?
Le secret est d’avoir un système. Un champion est le fruit d’un grand nombre de facteurs. Le bon cavalier de formation en fait partie. En Allemagne, les chevaux sont jugés sur leur style à cinq et six ans, ce qui leur permet de grandir de la bonne manière. Ce système est également bénéfique pour les cavaliers, qui apprennent ainsi à monter correctement. Les concours pour les jeunes chevaux sont très importants. Il n’y a pas beaucoup d’argent, mais tous les cavaliers et éleveurs veulent y présenter leur cheval le mieux possible, de manière, ensuite, à bien le vendre.
La crise qui a touché certains pays d’élevage, dont la France, a-t-elle également touché l’Allemagne?
Oui, depuis 2008, la crise a gagné l’ensemble du pays, et notre sport n’y a pas échappé. Mais la crise ne concerne que les chevaux moyens. Le crack reste toujours difficile à trouver, et donc plus cher (ce qui reste encore plus vrai aujourd'hui, ndlr). Peu de personnes peuvent se permettre d’acheter ce genre de chevaux. En Europe, environ cent mille chevaux naissent chaque année, mais seuls cinq à dix deviendront de vrais phénomènes. C’est pourquoi ils coûtent très, très cher. Après, chacun suit son propre chemin et son propre parcours éducatif pour parvenir à ce niveau. Comme on dit, tous les chemins mènent à Rome!
Aujourd’hui, le sport a considérablement changé. Ne suffit-il pas d’acheter un crack pour aller jusqu’à participer aux Jeux olympiques?
C’est vrai, mais n’oublions pas que participer à un concours n’est pas la même chose que former un cheval, le construire. Un mauvais cavalier peut gagner une épreuve dans un concours, mais pas les Jeux olympiques. Il n’arrivera surtout jamais à former un champion. En tout cas, et heureusement, cela n’est jamais arrivé.
Quelle est selon vous la qualité la plus indispensable pour devenir un bon cavalier?
Certainement le feeling avec le cheval. Le cavalier doit être capable de le comprendre complètement et de savoir quoi lui demander et quand le lui demander.
Vous êtes un grand partisan du style, et de l’évaluation des jeunes chevaux selon ce critère. Pourtant, votre style n’était pas, à proprement parler, classique!
Mon style était terrible, même! Je n’ai jamais eu de maître pour me l’enseigner. Cependant, j’ai toujours cherché à être avec le cheval, à ne pas l’entraver dans son action. Je me suis vite rendu compte que l’on ne peut pas toujours compter sur ses intuitions individuelles, et qu’il faut créer un vrai système, ce que l’Allemagne possède aujourd’hui. Tous les grands champions proviennent d’un système, d’une école.
MAÎTRE DE CHAMPIONS ET DÉCOUVREUR DE TALENTS
Entre la fin des années 80 et la fin des années 90, Paul Schockemöhle a hébergé les trois quarts de l’équipe d’Allemagne, chez lui à Mühlen, au nord du pays. Ludger Beerbaum, Dirk Hafemeister et Franke Sloothaak ont grandi et progressé techniquement sous le regard attentif du champion. Une équipe quasiment invincible à en juger par ses médailles d’or aux Jeux Olympiques de Séoul (1988), puis d’Atlanta (1996), ainsi qu’aux Jeux équestres mondiaux de La Haye (1994), pour ne pas citer toutes les victoires individuelles! Animés d’un bel esprit d’équipe, les cavaliers travaillaient tous ensemble dans un même but, s’entraidant mutuellement et se donnant des conseils. Sous l’œil de Paul Schockemöhle se sont également formés Meredith Michaels-Beerbaum, Eddie Macken et Otto Becker, sans compter toutes les équipes nationales qui ont suivi ses conseils. Chacun a ensuite suivi son propre itinéraire, avec pas mal de succès. Enfin, de nombreux chevaux ayant écrit l’histoire du saut d’obstacles mondial sont également sortis de ses écuries : Walzerkönig (Han, Watzmann x Absatz), The Freak (KWPN, Lucky Boy x Banko, également appelé S.Reinier), Cento (Holst, Capitol x Caletto II), PS Priamos (Westph, Pilot x Direx), The Natural (Han, Diskus x Gotthard) et Sandro Boy (Old, Sandro x Grannus x Argentinus). Les champions du monde Mr. T (KWPN, C Indoctro x Hamilton) et Lianos (Holst, Landlord x Landego) sont également passés par là, de même que les exceptionnels Lantinus 3 (Han, Landkonig x Argentinus), Waterford Crystal (Holst, Landgraf I x Corvado, également appelé Limbani K), L’Espoir (Landwind II B x Feinschnitt I van de Richter x Almé, alias Lingot du Mury Marais Z), Lando (DWB, Lancier x Raimondo) ou Lord Luis (Holst, Lasino x Alcatraz x Caletto II).