Le ski-jöring, un loisir qui grimpe mais un sport discret
Faire du ski en étant tracté par un cheval? L’idée séduit de plus en plus et nombreux sont ceux qui depuis plusieurs années s’initient au ski-jöring et partent ainsi en balades sur les chemins des Alpes notamment. Ouverte aux pratiquants des sports équestres comme aux non-initiés, la discipline existe sous une version de loisir mais également sportive. Reconnue par la Fédération française d’équitation (FFE) depuis 2008, elle avait même fait son apparition lors des Jeux olympiques d’hiver à Saint-Moritz… en 1928.
En vogue durant l’hiver, le ski-jöring est un terme scandinave qui désigne le fait d’être tracté par un cheval en étant sur des skis. À l’origine, cette activité était pratiquée par les paysans, qui devait travailler et se déplacer même lorsque les conditions climatiques étaient moins favorables.
En France, la pratique s’est démocratisée à la fin du vingtième siècle, sous l’impulsion de Jacques Fillietroz, qui en est l’un des pionniers. Pisteur-secouriste à la station des Arcs, en Savoie, il possède en parallèle un centre équestre à Bourg-Saint-Maurice, le Ranch El Colorado. “L’hiver, mes chevaux ne faisaient rien. Je les entraînais pour les activités du printemps jusqu’à l’automne. Je voulais trouver une activité pour l’hiver, autre que la randonnée qui est assez compliquée dans la neige, associant le ski et le cheval”, commence-t-il. “Je suis passé au traineau pour les chevaux, mais nous n’avons pas un relief approprié, avec beaucoup de devers, donc c’était fatiguant pour eux. J’ai fait mes recherches, à part les courses en Suisse avec les jockeys derrière leurs chevaux, il n’y avait rien du tout. J’ai donc d’abord commencé à travailler sur du matériel, pour voir comment l’on pouvait évoluer derrière un cheval en toute sécurité. J’ai fait pleins de prototypes jusqu’à en trouver un opérationnel, que j’ai fait breveter.” Investi pour sa discipline, il a ensuite créé l’Association française de ski-jöring, notamment pour pouvoir la structurer et organiser des compétitions. La Fédération française d’équitation (FFE) s’y est logiquement intéressée et a officiellement été reconnue en 2008 à l’occasion du Salon du cheval. “La Fédération française de ski revendiquait aussi le ski-jöring, mais le Ministère a tranché en faveur de la FFE, qui en est exclusivement en charge. Comme la traction est effectuée par un cheval, c’est assez logique”, détaille Thierry Maurouard, en charge des nouvelles disciplines à la FFE.
Le ski-jöring se pratique avec des skis courts et un casque respectant les normes en vigueur pour l’équitation ou le ski, ainsi qu’une structure rigide et des longues rênes permettant de diriger le cheval. “C’est finalement très léger pour le cheval, car le harnais est pour la plupart du temps en nylon. Avec des skis aux pieds, la résistance à la traction est très faible, donc les chevaux s’amusent vraiment”, précise-t-il. Pratiqué comme loisir quatre-vingt-quinze pourcent du temps, le ski-jöring diffère légèrement de l’attelage et nécessite des chevaux habitués “à voir d’un coup apparaître [le skieur] dans son œil gauche, puis dans son œil droit, et parfois dans son angle mort. Il y a une mobilité latérale que l’on n’a pas en attelage. C’est impressionnant pour le cheval qui doit être désensibilisé”, décrit Jacques.
La fermeture des remontées mécaniques génératrice d’une nouvelle clientèle
Très apprécié, le ski-jöring présente de nombreux avantages et propose une approche de la montagne différente, combinant glisse et cheval. Elle intéresse les cavaliers comme les non-initiés. “Contrairement aux chiens de traineau qui aboient, le cheval ne fait pas de bruit. C’est très feutré”, affirme Jacques. La discipline offre un “vrai sentiment de liberté”, confirme Thierry Maurouard, conquis par cette pratique.
Pas besoin donc d’être cavalier pour profiter d’initiations et de randonnées. “Souvent pratiqué avec un cadre rigide, il est possible d’évoluer en binôme. Un professionnel peut ainsi prendre à ses côtés un débutant, et ainsi l’initier au plaisir de la glisse. Il y a aussi la version où un cavalier se met sur le cheval et gère les allures et la direction, tandis que la personne derrière se contente de se faire tracter”, précise Thierry.
Jacques Fillietroz y voit aussi une pratique idéale pour l’apprentissage du ski. “Quand on fait la caricature, comme dans les Bronzés, du planté de bâton, les débutants ont tendance à avoir peur et appréhender la pente. Ils se mettent sur l’arrière de leurs chaussures de ski, et se retrouvent sur les fesses, alors que la position pour bien skier est le buste en avant dans la pente. Le fait d’avoir un cheval devant soi enlève cette appréhension et permet de s’habituer progressivement à avoir les bras et le buste penchés. Tous ceux que j’ai fait débuter comme cela en ski ont très vite compris qu’il faut être en avant des skis.”
Le ski-jöring s’est énormément développée dans les Alpes – Alpes du Nord, Hautes-Alpes ou encore Alpes-de-Haute-Provence – où de nombreux professionnels s’associent aux offices de tourisme et stations de ski pour proposer des activités de démonstration grand public. Tous les ans, ceux qui proposent randonnées et initiations y trouvent leur compte. “Depuis quelques années, les gens ont une approche différente de la montagne. Aujourd’hui, les personnes délaissent une journée de ski ou viennent même spécifiquement pour le ski-jöring. Ils ne viennent plus pour consommer uniquement du ski”, confirme Jacques Fillietroz, qui dispose de plusieurs installations et d’itinéraires qui lui sont parfois réservés.
En cet hiver 2021 où la pandémie de Covid-19 ne faiblit pas et où la fermeture des remontées mécaniques impacte les professionnels du secteur, le propriétaire du centre équestre Ranch El Colorado observe une évolution de sa clientèle, d’ordinaire cavalière et skieuse. “Il y a cette année beaucoup de non-cavaliers qui découvrent le cheval grâce au ski-jöring.” Comme il l’explique, cette pratique est propice à “la découverte du cheval comme moyen de locomotion. Ces clients-là, après une balade, ont moins peur des équidés. Certaines personnes aiment les voir, car c’est ce sont des animaux nobles. Mais ils le voient grands, avec de la force, ce qui impressionne. Là, ils ont une marge de sécurité entre eux et le cheval, ne sont pas dessus et n’ont donc pas cette appréhension de chuter.”
La fermeture des remontées mécaniques a aussi permis le développement d’initiatives originales, certaines stations utilisant un cheval de trait pour remplacer le téléski et remonter les jeunes enfants en haut d’une piste, comme cela a été le cas à Saint-Léger-les-Mélèzes, dans les Hautes-Alpes, par exemple.
Alors que la FFE a su tirer son épingle du jeu en étant la seule fédération à voir augmenter son nombre de licenciés en septembre 2020, l’attrait des non-initiés pour le ski-jöring pourrait également lui être favorable. “Certains de mes clients me disent même que cela leur a donné envie de faire du cheval!”, exprime avec satisfaction Jacques Fillietroz. Même espoir du côté de Thierry Maurouard, en charge de la discipline. “Après cet hiver, je pense qu’il y aura de nouveaux adeptes, et que des clubs auront aussi l’envie de proposer la découverte du ski-jöring dans leur panel d’activités proposées. Ce n’est pas si compliqué de faire de l’initiation avec un poney qui a déjà l’habitude d’être attelé à un petit sulky, il suffit d’un peu d’entraînement supplémentaire. Il même aussi possible de tenir le tenir en main.”
Le ski-jöring, une discipline aussi sportive
Le ski-jöring est également une discipline sportive, dont la station suisse de Saint-Moritz est aujourd’hui l’un des hauts lieux. Les premières courses y ont été organisées dès 1906, sous l’impulsion des Britanniques. Et depuis 1990, trois courses se déroulent tous les ans au mois de février sur le lac gelé. Un spectacle impressionnant et particulièrement apprécié, permettant de couronner un “roi de l'Engadine (une région dont Saint-Moritz est la localité la plus connue, ndlr)” pour un an, c’est-à-dire le skieur ayant obtenu le plus de points à l’issue des trois rendez-vous du White Turf. “La piste est préparée spécialement pour les chevaux, qui ont des crampons. Nous utilisons des chevaux de course pur-sang, qui courent sur herbe pendant la saison comme tous les autres. C’est compliqué de s’entrainer pour cet événement. Quand nous avons un nouveau cheval, c’est toujours un peu la surprise de voir si cela fonctionne ou pas!”, témoigne Köbi Borger, qui a participé à plusieurs éditions des mythiques courses hippiques dans ce canton des Grisons. “Ce sport est un challenge, et nous devons avoir un peu de courage. Nous ne sommes pas tout seul sur la piste, mais dans un lot de douze chevaux avec leurs skieurs derrière. C’est quelque fois un peu dangereux. Pour le pratiquer, il faut une licence, que l’on obtient après un examen. Très peu de personnes la possède, seulement quatorze.” Il décrit également une “atmosphère vraiment spéciale. Nous sommes à plus de 1 800 mètres d’altitude. Beaucoup de public se déplace et c’est le meilleur endroit de la terre pour ces courses! C’est pourquoi il y a des gens qui viennent du Royaume-Uni, d’Irlande ou de France pour voir cela. C’est une expérience formidable, tant pour les spectateurs que pour les jockeys.”
Lors des Jeux olympiques d’hiver de Saint-Moritz, en 1928, le ski-jöring a même été inclus au programme, mais uniquement en démonstration. Le format choisi pour ces seconds Jeux hivernaux était une course en peloton, sur un anneau ovale, qui s’est courue le 12 février exactement. Parmi les autres variantes sportives, un slalom ou une compétition de précision peuvent être proposés.
En France, des compétitions et des championnats de France ont existé, mais la version sportive du ski-jöring a souffert des complexités d’organisation et du manque de financement. Elle n’existe ainsi pas de manière pérenne sur notre territoire, et s’est étiolée avec les années. “L’aspect sportif est lourd à mettre en place. Il y a déjà la difficulté de déplacement, pour aller d’une vallée à une autre. Un camion de chevaux, sur les routes en hiver, les week-ends de chassé-croisé… Un autre paramètre très important est la préparation du site. Il faut un lieu relativement plat: dans beaucoup de régions de montage, on est vite dans la pente, or, il faut un espace plat assez grand pour accueillir les épreuves de maniabilité ou de vitesse. La qualité de damage doit être excellente, car si la neige est trop dure, les chevaux glissent, si c’est trop mou, ils s’enfoncent… Il faut ajouter à cela la sécurisation du site et certains paramètres que l’on ne contrôle pas?comme la météo. Aux Arcs, où la préparation était excellente, il y a eu un redoux entre le samedi et le dimanche, c’était ski-nautique!”, énumère Thierry. L’hébergement des chevaux, qui n’est parfois pas si simple à cette période de l’année, peut aussi s’avérer périlleux.
Malgré les difficultés, il n’est pas impossible que le ski-jöring sportif fasse son retour. “La FFE n’est que coordinatrice et gère le règlement, il faut que ce soit une demande des professionnels. Ce sont eux qui ont les clés en main comme pour toute activité sportive”, énonce le chargé de la discipline au sein de l’instance fédérale. “Nous avions programmé une réunion de la commission sportive avant le premier confinement, et évidemment ce nouvel élan de quelques-uns a été mis en suspens. Nous verrons donc à la fin de cette pandémie.”