À l’occasion d’une soirée olympique, Christopher Six et Michel Asseray reviennent sur l’épopée tokyoïte des Bleus
À l’initiative du Comité Régional d’Équitation d’Île-de-France (CREIF) et de la Commission régionale de concours complet, une soirée dédiée à l’épopée de l’équipe de France olympique de concours complet s’est déroulée à l’Orangeraie du Haras de Jardy, lundi 15 novembre. Christopher Six, médaillé de bronze par équipe, cet été à Tokyo, et Michel Asseray, Directeur technique national adjoint de la discipline, sont revenus en détail sur leur expérience des Jeux. Un événement qui aura permis de mettre en lumière le parcours du discret cavalier yvelinois, installé au Haras de la Cendrinière, à Gazeran, près de Rambouillet, et d’être au plus près de l’intimité de l’équipe de France de complet.
Christopher Six a pris la parole devant une salle comble, celle de l’Orangerie du Haras de Jardy, pour présenter brièvement son parcours de cavalier. Il commence, pour celui dont les parents sont étrangers au monde de l’équitation, au centre équestre de la Licorne. Depuis, l’enfant qu’était Christopher Six a bien grandi. Champion de France en début d’année à Pompadour, le sympathique complétiste s’est envolé au Japon avec son fidèle Totem de Brécey quelques mois plus tard, pour participer aux Jeux olympiques. L’Yvelinois a ensuite passé le relais à Michel Asseray, qui a posé le cadre de la soirée et exprimé sa vision de l’événement. “Revenir des Jeux olympiques avec une médaille, c’est entrer dans l’Histoire. Beaucoup rêvent de porter la veste bleue aux parements rouges mais c’est une responsabilité difficile. Pour certains, elle est en plomb”, assène sans détour le Directeur technique national adjoint. En suivant, le fidèle bras droit du stratège Thierry Touzaint, sélectionneur des équipes de France de concours complet, s’est lancé dans un déroulé chronologique de l’épopée tokyoïte des Bleus.
Cette dernière débute sur un terrain isolé situé à Granville, devenu zone sanitaire pour répondre aux exigences de confinement en raison de l’épidémie de Covid-19. Réunie dans la Manche, l’équipe de France de complet s’est isolée pour préparer l’échéance la plus importante de l’année : les Jeux olympiques. Sur place, athlètes et membres de la délégation française ont été soumis à des protocoles sanitaires très strictes: obligation d’être vacciné, multiplication des tests, validation de la zone de quarantaine par des vétérinaires. Autant de mesures contraignantes et sources de stress.
La difficulté de la préparation de ces Jeux a pris tout son sens au moment du chargement du camion qui a mené les chevaux à l’aéroport. Jean-Lou Bigot, deuxième réserviste, a dû agir comme s’il allait concourir, au cas où l’un des chevaux titulaires soit déclaré forfait. Ce n’est qu’au dernier moment qu’il apprendra que l’aventure s’arrête ici pour lui. Un moment difficile et empreint d’émotions qui se vit à la hauteur de l’investissement du cavalier. Pour autant, l’implication du complétiste aura été un rouage essentiel à la bonne réussite du collectif tricolore au Japon. Peu avant le départ, le paquetage, premier signe que l’olympisme est à portée de main, a été livré. Et c’est Jean-Lou Bigot qui l’a distribué pour symboliser l’envoi de ses coéquipiers aux Jeux olympiques. Un geste fort qui témoigne de son investissement pour l’équipe. Le paquetage est composé de différentes tenues car, à partir du moment où l’équipe de France arrive à l’aéroport, ces dernières sont imposées et répondent à un cadre fixé par le Comité olympique.
Deux coups de tonnerre à surmonter
Grandville a aussi été le symbole du “vivre ensemble”. Le confinement a permis aux cavaliers sélectionnés d’apprendre à se connaître en partageant au quotidien un lieu commun. Corvées de vaisselle et soirées karaoké sont autant de moments de vie prompts à consolider l’esprit d’équipe. Et pour se préparer au mieux à l’échéance, l’entraînement reproduit la mise en scène attendue le jour de l’épreuve ; chevaux nattés et cavaliers en tenue de concours sont de rigueur. Loin d’être un long fleuve tranquille, l’aventure olympique réserve souvent son lot de surprises. Le premier coup de tonnerre à frapper l’équipe de France aura été le forfait de Qing du Briot, même si le malheur de Thibaut Vallette a fait le bonheur de Christopher Six, qui a enfilé le costume de titulaire. “J’étais déçu et triste pour Thibaut car j’ai conscience des sacrifices et de l’investissement que cela représente. Il voulait finir par Tokyo car il savait qu’il s’agissait du dernier concours de son cheval, qui devait partir à la retraite juste après. Ils resteront ce couple merveilleux qui a apporté de nombreuses médailles (deux de bronze, obtenues aux Européens de Blair Castle en 2015 et aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en 2018, et, bien-sûr, l’or olympique décroché à Rio, en 2016, ndlr) à la France”, se confie, très ému, le discret Christopher Six. À son arrivée à Tokyo, l’équipe de France continue d’être soumise à des protocoles sanitaires très strictes. Les Bleus doivent déclarer chaque jour leur température sur une application, la mettre à jour régulièrement et se soumettre à des tests salivaires quotidiennement.
Matin et soir, les cavaliers effectuent deux allers-retours en bus entre le village olympique et le stade équestre, ce qui représente en moyenne trois heures de route. En raison de la chaleur, de l’humidité ambiante et pour respecter le bien-être des équidés, il était interdit de les sortir entre onze et quinze heures. Une coupure qui a donné lieu à un rituel bien rodé. Chaque jour, l’équipe éteignait la lumière et faisait le silence dans les écuries. “Souvent ceux qui restaient dormaient et nous nous sommes rendus compte que les chevaux faisaient pareil. C’était un moment apaisant pour tout le monde”, se souvient Michel Asseray. Une pause d’autant plus nécessaire que les conditions météo étaient très contraignantes. Les cavaliers ont d’ailleurs pu bénéficier de vêtements pour les préserver du climat. Ils pouvaient porter au choix un survêtement auquel s’accrochait des pains de glace ou un survêtement ventilé qui comportait des moteurs à hélices. Le confort était également de mise pour la cavalerie avec des boxes arrosés et ventilés, du caoutchouc au sol pour limiter les dérapages et douches devant chaque barnes. Autant de dispositifs indispensables, notamment à l’approche de l’échéance la plus éprouvante: le cross.
Pour réhabituer les chevaux à l’effort qu’ils vont devoir fournir pendant huit minutes, un dernier galop de décompression est prévu, soit dix minutes de canter à une vitesse réduite. À titre de comparaison, les couples enchaînaient à Grandville trois galops de douze, quatorze et douze minutes. C’est à la suite de cet entraînement qu’un deuxième coup de tonnerre s’abat sur l’équipe de France. Les entraîneurs se rendent compte que la jument de Thomas Carlile, Birmane, n’a pas bien encaissé ce dernier galop. Le cavalier toulousain est à quarante-huit heures du début des épreuves et l’issue, aujourd’hui connue de tous, est fatale au couple, qui déclare forfait afin de ne prendre aucun risque. L’annonce est très brutale et l’épisode Qing revient dans tous les esprits. “Avec Thierry Touzaint, nous demandons à Karim Laghouag de nous rejoindre dans notre chambre. Il est entré en nous disant qu’il tremblait car il savait pourquoi il était là. Il était évidemment très triste pour Tom mais nous a assuré qu’il était prêt à aller chercher une médaille”, confesse Michel Asseray.
Gri-gri et superstition
À l’approche de l’échéance, les doutes s’installent et les cavaliers s’accrochent à leurs habitudes et autres gri-gri “Avant d’aller au dressage, et même si je suis passé en fin de matinée, je voulais absolument monter Totem alors je suis parti vers 5h30”, dévoile Christopher Six. “Je voulais répéter le protocole mis en place ces trois dernières années avec lui sans rien changer.” Et d’ajouter : “Pour le cross j’ai décidé de porter le même caleçon que pour les Championnats d’Europe de Luhmühlen. C’est un caleçon que l’on m’avait offert et sur lequel y a marqué Allez Sixou. J’avais fait un bon résultat (quatrième en individuel avec son fidèle gris, ndlr) sur ce Championnat, alors j’ai décidé de le porter, même si habituellement je ne suis pas superstitieux.” Les Jeux ont également été le théâtre de moments de complicité interdisciplinaire. “Un jour les cavaliers de saut d’obstacles sont venus faire la reconnaissance avec nous et ils ont trouvé ça long (rires). Ce fut un beau moment de partage”, sourit Michel Asseray.
Retour au présent, où Totem, quatorze ans, vient juste de reprendre le travail, après deux mois de repos au haras de la Belletière. En ligne de mire pour son cavalier ? Les Championnats du monde de Pratoni del Vivaro, mais pas que… “J’ai envie d’aller aux Jeux olympiques de Paris (rires). Dans l’avion qui nous ramenait en France, j’y pensais déjà. C’est dire à quel point cela peut nous hanter. Pour les préparer, il faut commencer par faire le bilan de son piquet de chevaux et voir lequel pourrait être sélectionné. Trois ans, c’est long et il peut se passer tellement de choses. Regardez ce que nous avons vécu en seulement un mois. J’essaierai de faire les meilleurs résultats possibles, concours après concours, et si toutes les planètes sont alignées au bon moment nous y serons. Il n’y a que trois places pour une multitude de bons cavaliers et de bons chevaux mais nous sommes tous gonflés à bloc”, se projette le médaillé olympique et champion de France en titre. Et Michel Asseray de conclure : "Cela va être dingue. J’ai à cœur de protéger les cavaliers et de les préserver. Il faudra réussir à les isoler pour qu’ils ne se dispersent pas car tout le monde aura envie de vivre auprès d’eux. Si nous sommes médaillés à Paris, je pars à la retraite le soir même!”