Marche à l’ombre, la réalité perpétuelle des disciplines non olympiques

Des médailles à foison, à l’image de celles remportées la délégation française lors des championnats du monde de TREC le week-end dernier à Lamotte-Beuvron, des sportifs qui se donnent à fond sans compter leurs efforts et… une reconnaissance limitée. Tel est l’inévitable destin de nombreuses disciplines demeurant dans l’ombre des pratiques olympiques.



Du 25 au 27 août, le Parc équestre fédéral de Lamotte-Beuvron et la forêt de Sologne ont accueilli les championnats du monde Seniors, Jeunes Cavaliers et Juniors de TREC. Petit rappel. Né à la fin des années 1980, le TREC, acronyme de Techniques de randonnée équestre de compétition, est la discipline par excellence des amateurs de cheval et de pleine nature. Il éprouve l’autonomie du cavalier et sa capacité à s’orienter en pleine nature et à franchir les difficultés naturelles que l’on peut rencontrer en extérieur avec une gestion maîtrisée de l’effort de son cheval. En compétition, trois activités sont jugées: le parcours d’orientation et de régularité (POR), la maîtrise des allures (MA) puis le parcours en terrain varié (PTV).
Ce week-end, l’équipe de France, dirigée par Thierry Maurouard, a brillé avec neuf médailles dont cinq en or. Chez les Seniors, sélectionné pour la première fois, Mathieu Gay Perret, aux rênes de son Franches-Montagnes Vandale de Tremala, a remporté le titre mondial individuel, tandis qu’Amanti Muller a obtenu le bronze sur Goodys de l’Autan. Dans la compétition par équipes, la France, représentée par Manon Schwarz (Vodka Ice de Seelberg), Jessica Guyot (Spirit), Éric Sœuvre (Tezo) et Amanti Muller (Goodys de l’Autan), s’est largement imposée devant l’Autriche. Les médailles chez les jeunes cavaliers (l’or individuel pour Hugo Bertrand sur Vaquero d’Agora, l’argent pour Justine Meyer sur Dalton de Montflix et le bronze pour Deborah Portaz sur Upsilon de Seelberg, ainsi que l’or par équipes pour Hugo Bertrand, Déborah Portaz, Émilie Stuck er Clémence Bosserelle) et en Juniors (l’or pour Lisa Pradaud Lenoble et Laure Sauzède et l’argent pour Chloé Parent et Réjane Busquet) sont venues nourrir un tableau des médailles largement dominé par les Bleus.
Même si le rayonnement international du TREC reste limité, avec quatorze nations représentées lors des Mondiaux, ces résultats témoignent de la qualité des couples français. De leur travail aussi. Comme l’explique, Frédéric Bouix, délégué général de la Fédération française d’équitation mais aussi président de la Fédération internationale de tourisme équestre (FITE), “cela demande de la préparation, la formation des cavaliers, des chevaux, des sacrifices de la part des familles et des clubs qui les accompagnent au quotidien”. Nul doute que l’investissement personnel (et parfois financier) de tous les Bleus, évidemment tous amateurs, est sans retenue, sans calcul et… sans espoir d’une quelconque reconnaissance au-delà des initiés. Quand ils évoqueront leur titre de champion du monde dans une discussion hors de leur univers, il est fort probable qu’ils aient d’abord à expliquer ce qu’est le TREC. Peu importe. Difficile d’en faire le reproche à quiconque.
Avec plusieurs disciplines à gérer, et c’est notamment le cas pour l’équitation avec plus de vingt pratiques dans son prisme (saut d’obstacles, concours complet, dressage, para-dressage bien sûr, mais aussi endurance, attelage, voltige, hunter, western, TREC, équifun, equifeel, horse-ball, pony-games, etc.), difficile pour une fédération d’avoir les yeux partout et de pouvoir répondre à toutes les attentes, d’autant que ses budgets demeurent limités. Les subventions ministérielles, gérées par l’Agence nationale du Sport (ANS), le sont tout autant. D’ailleurs, elles concernent essentiellement les disciplines olympiques à travers les contrats de performance fédéraux. La mise en place par la cellule haut niveau de l’ANS du plan “Ambition Bleue” en vue des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024, avec un ciblage bien plus pointu vers les disciplines ou/et athlètes susceptibles de ramener des médailles dans deux ans, a même contraint de nombreuses fédérations à resserrer la ceinture d’un voire plusieurs crans pour le “reste du monde”. Les plus généreuses parts du gâteau reviennent donc logiquement aux disciplines olympiques. Conséquence inévitable: les autres ont souvent l’impression de devoir se partager des miettes.



Cela ne concerne pas que l’équitation

Cette problématique, générant parfois la frustration de familles de pratiquants, est la même dans de nombreux sports. Deux exemples. Lors des récents championnats d’Europe multisports, à Munich, les triathlètes français ont brillé avec un triplé historique dans la course masculine, signé par Léo Bergère, Pierre Le Corre et Dorian Coninx, le bronze d’Emma Lombardi chez les femmes et le titre du relais mixte. Des résultats obtenus sur la “distance olympique”: 1.500m de natation, 40km de vélo, 10km de course à pied. Pour obtenir ces résultats, au-delà de leur talent et de leur travail, les athlètes ont pu bénéficier de préparations en altitude, d’aides personnalisées et d’un accompagnement de grande qualité forcément onéreux. Pendant ce temps-là, les pratiquants de duathlon (course, vélo, course), de raids multisports, d’aquathlon (natation, course) ou encore de Bike and Run, pratiques elles aussi sous la tutelle de la Fédération française de triathlon et des disciplines enchaînées, doivent souvent se préparer avec des moyens très limités avec le plus souvent l’impression d’être un peu livrés à eux-mêmes. Comme en équitation, la dimension olympique est essentielle dans la répartition des moyens.
Second exemple. Le week-end dernier à Berlin, Floriane Hot et Camille Chaigneau ont porté très haut les couleurs de l’athlétisme tricolore en remportant l’or et l’argent mondial. Pas certain pourtant que ces deux noms évoquent grand-chose pour la très grande majorité d’entre vous. Normal puisque ces deux Françaises ont pour spécialité le 100km sur route, discipline non olympique. Pour les plus curieux, les records du monde officiels sur route ont été établis à 6h09’14’’ chez les hommes et à 6h33’11’’ chez les femmes, tous les deux détenus par des Japonais. Elles aussi doivent souvent composer avec des moyens limités malgré l’énorme entraînement nécessaire pour atteindre le haut niveau.
Cavaliers de TREC, duathlètes, cent-bornardes et beaucoup d’autres partagent cet anonymat. Mais tous partagent aussi la même abnégation et la même passion pour leur pratique. “Juniors, Jeunes Cavaliers et Seniors, nous ne formions qu’un, et nous ne nous y attendions pas”, confient Lisa Pradaud Lenoble et Laure Sauzède, championnes du monde Juniors. “L’ambiance au sein de l’équipe de France est incroyable. C’est une expérience à vivre.” Là est sans doute l’essentielle. Les champions de TREC, aussi titrés soient-ils, ne feront jamais la Une de L’Équipe et probablement même pas celles des magazines équestres. Ils le savent. Mais cela ne les empêchera jamais de vivre leur sport avec le plus grand enthousiasme et la plus belle des passions. Et de mériter de sincères félicitations.