Trouver la bonne selle, un achat qui ne s’improvise pas

L’achat d’une selle est souvent porteur d’émotions: joie de constater qu’elle est adaptée au couple, déception de la sentir inapte, fébrilité quand il est question de rassembler son budget pour s’offrir ce précieux matériel. Peut-on établir aujourd’hui en France des tendances sur son processus d’achat? Entre rapport aux marques, expérience du sur-mesure et critiques constructives, zoom sur l’acte d’achat d’une selle.



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© Scoopdyga

La vente directe entre le sellier et son client a d’abord été une spécificité française. Les pays européens, et en particulier l’Angleterre, fonctionnaient autrement: le client achetait en sellerie une selle à ses mesures puis la faisait adapter à son cheval par un saddle fitter. À l’époque, le cheval n’était pas ou peu pris en considération dans la conception de la selle… Heureusement, la donne a changé au cours des dernières décennies! Pour notre panel de mille cent quatre-vingt-trois lecteurs français ou francophones questionnés lors d’un sondage en ligne mis en place par GRANDPRIX et Horse Development, spécialiste de l’étude de marché dans la filière équine, en juillet 2022, la tendance se confirme puisque 44% d’entre eux achètent du sur-mesure auprès de selliers. 21% se fournissent d’occasions chez un sellier ou une sellerie, 18% optent pour une selle neuve standard et, enfin, 17% achètent leurs selles d’occasion auprès d’un particulier. Les lecteurs sondés sont à large majorité propriétaires d’un cheval, cavaliers de saut d’obstacles, de bons niveaux et assidus (montant à cheval plus de trois fois par semaine), et évoluant en compétitions Amateurs. 

Parmi ce panel de mille cent quatre-vingt-trois lecteurs, 30 % n’ont pas été accompagnés lors de leur achat, par choix ou manque de recul. Concernant ce dernier point, il semble que les cavaliers débutants ou de petits niveaux achètent souvent seuls leur selle sans avoir conscience de la complexité d’un tel achat. En outre, comme le remarque un lecteur sondé, une selle vendue sur une sellerie en ligne n’offre usuellement que des informations succinctes: taille du siège, coloris, matériau, présence ou non d’arcade interchangeable. “La possible adaptation au cheval n’est quasi jamais évoquée. Ne pourrait-on pas dire que telle selle est destinée à un cheval aux épaules étroites, au garrot rond, au dos court, etc.?”, s’interroge Bertrand. Cette frugalité d’informations sous-tendrait-elle un niveau de connaissance pointu de la part des acheteurs, débutants mis à part? Selon une étude menée par l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) en 2019 – rédigée par Anne-Lise Pépin, Pascale Heydemann et Carole Troy en mars 2020 via un panel de sept cents sondés – 96% des personnes interrogées sont pourtant intéressées et prêtes à payer afin de recevoir des conseils pour une bonne adaptation de leur selle au couple cheval/cavalier. De fait, les achats sans essai – ni en magasin ni sur le dos du cheval – tendent à baisser au fil des ans. Les résultats du sondage estiment qu’en moyenne seulement 10% des cavaliers achètent une selle sans l’essayer. Ce chiffre monte toutefois à 20% pour les cavaliers de loisir recherchant une selle mixte.



Un budget de poids

Selon l’étude précédemment citée de l’IFCE, le poids du marché de la selle est valorisé à hauteur de soixante-cinq millions d’euros par an: “Le marché français de la selle est estimé à 33 500 ventes en 2018. Le marché de l’occasion représente 40% du marché total, avec 14 000 transactions. Sur le marché français du neuf, les marques françaises dominent avec 11 300 selles vendues, contre 8 200 selles de marques étrangères. À partir des prix d’achats déclarés par les acheteurs, le poids du marché de la selle en France peut donc être estimé à près de soixante-cinq millions d’euros, dont quarante-cinq millions pour le seul marché du neuf.” Si l’on rapporte ces chiffres au prix à l’unité, l’étude de l’IFCE avance un budget médian de 1 800 euros pour un achat neuf destiné à une équitation de loisir et 1 000 euros pour la même catégorie, mais d’occasion. On retrouve des chiffres similaires via le sondage: 38% ont acheté leur selle entre 1 000 et 2 000 euros, 30% moins de 1 000 euros, puis les pourcentages décroissent pour les achats de plus de 2 000 euros et plus de 3 000, voire plus de 4 000 euros. “Le budget pour une selle en cuir sera évidemment plus élevé qu’une selle synthétique, mais cette dernière peut également être tout à fait valable et adaptée à un couple. J’en trouve régulièrement des neuves standards à moins de 400 euros”, relève Éric. 

Le prix d’une selle est souvent sujet à discussion. Pourquoi existe-t-il une telle disparité de tarifs? “J’ai posé un jour la question à un sellier par curiosité”, commente Émeline. “Il m’a indiqué qu’une selle anglaise nécessitait en moyenne trente-cinq heures de travail et quatre-vingts pièces à couper et assembler. Je comprends un peu mieux!” “Je suppose qu’un prix plus bas est synonyme de raccourci technique, de matériau moins noble et d’un confort moindre. Néanmoins, j’apprécierais que l’on ne discrédite pas systématiquement une selle de moins de 500 euros: si elle convient parfaitement au couple et qu’elle a été fabriquée dans de bonnes conditions, je trouve au contraire que c’est un très bon élément!” Concernant le panel de lecteurs de GRANDPRIX, seulement 14% estiment baser leur choix final sur le prix. Cette information est néanmoins à nuancer car on parle plutôt ici d’un critère de prix sur une fourchette donnée et dans la catégorie de budget retenu. Car, entre une selle à 300 et 3 000 euros, la fourchette est de taille!



L’expérience du sur-mesure

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© Flex On

Une selle sur mesure est normalement conçue pour un couple – que l’arçon soit produit par le sellier lui-même ou par une société extérieure. Pourtant, certains lecteurs s’insurgent que la prise de mesures semble parfois optionnelle. “Le commercial n’a pas pris les mesures du cheval, si bien que la selle est arrivée avec une arcade trop large de deux tailles! Le service après-vente a fait son travail et a changé l’arcade, mais pour une selle neuve de ce prix et dite “sur mesure”, la déception est bien là”, évoque Rachel. “Je connais beaucoup de personnes ayant mis 4 000 euros dans une selle sur mesure qui, au final, ne convenait pas au cheval. Dans un cas précis, le commercial n’avait pris ni mesure ni repère du dos de l’équidé et n’a reconnu aucune faute ni procédé à aucun remboursement…”, appuie Laura. Est-il possible de juger les mesures du dos d’un cheval d’un simple coup d’œil expert? “Une selle sur mesure n’est pas comme une chemise sur mesure dans l’habillement, c’est un sur-mesure sportif, si je puis dire”, commente le directeur commercial d’une marque de sellerie française. “La prise de mesure n’est pas le Graal mais elle doit néanmoins être faite, c’est certain! Deux personnes à la morphologie similaire ne vont pas forcément pouvoir monter avec la même selle, et il en est de même pour les chevaux. La discussion avec le commercial et l’évaluation du couple en mouvement orienteront vers les prises de mesures nécessaires.” 

Si le sur-mesure est plébiscité pour le bien-être de l’animal, certains cavaliers découvrent également le confort d’avoir une selle adaptée à leur équitation. “Je pensais que si la selle convenait au cheval, elle m’irait également et que je m’y adapterais vite. Pourtant, au fil des essais, j’ai découvert qu’une selle non adaptée au cavalier pouvait être très inconfortable, voire douloureuse au niveau du dos, et modifier fortement ma position et mes sensations. J’ai dû en changer”, décrit Alice. Melinda, quant à elle, a affiné ses sensations: “J’ai eu l’occasion de tester la selle d’un propriétaire et cela a été une révélation! Il y avait tout: le confort, le bon équilibre, la fixité et l’aisance. Ma selle d’alors me mettait dans une excellente position mais la nouvelle m’empêchait, en plus, d’en sortir.” Enfin, Élise et Rebecca rappellent que le sur-mesure est nécessaire pour les cavaliers en situation de handicap, tout en soulignant la rareté des selliers disposés à fabriquer ce genre de selle adaptée.



L’attachement aux marques

Dans le rapport IFCE de 2019 précédemment cité, “les selles détenues par les acheteurs français sont d’une centaine de marques différentes. Les mêmes marques sont citées, que ce soit sur le marché du neuf ou de l’occasion. Cependant, plus de 50% des achats sont portés par dix marques, dont sept marques françaises au processus de fabrication semi-industriel. Les artisans sont également présents mais leur volume de vente est moindre.” Selon le sondage GRANDPRIX et Horse Development effectué en juillet 2022, seulement 12% des mille cent quatre-vingt-trois lecteurs assurent que la marque participe à leur premier critère de choix. Le consommateur est-il encore fidèle à une enseigne? Plusieurs sondés l’assurent et citent une marque fétiche, quelle que soit la discipline pratiquée. Néanmoins, la majorité d’entre eux indiquent également que cette marque leur est actuellement inaccessible pour des problèmes de budget, de cheval encore en croissance, voire d’éloignement géographique avec un commercial de la marque en question. “Il y a beaucoup de marques, de modèles et d’adaptations possibles. C’est bien et vertigineux à la fois! On peut faire des essais éternellement… Mieux vaut réduire le choix à un ou deux acteurs, et échanger ensuite avec le commercial. Dans mon cas, je vais privilégier les marques qui se distinguent par un réel suivi après-vente”, rapporte Zacharie. Pour Vincent, le choix d’une marque passe par l’entraide entre cavaliers: “On se prête mutuellement nos selles entre propriétaires afin de se faire une première approche de certaines marques ou modèles, cela fait gagner beaucoup de temps.” “Cette abondance de choix peut vite décourager et inciter à se laisser tenter par l’offre d’une connaissance”, enchérit Estelle. “Pour ma part, j’ai commencé par l’achat de selles d’entrée de gamme mais, désormais, je ne me tourne plus que vers les marques haut de gamme.” 

Un sellier peut jouir d’une bonne ou mauvaise réputation, basée sur les expériences propres ou celles de connaissances. Dès lors, entrent en jeu la qualité du cuir, le confort offert au couple, le système de reprise ou vente d’occasion et, enfin, la considération des commerciaux. “En tant que cavalière de loisir, j’ai eu l’impression d’avoir été très mal considérée lors des essais avec de grandes marques – et ce malgré un budget largement supérieur à celui finalement alloué. Les selles ne me convenaient pas, ni à ma jument, et pourtant on m’expédiait sans prendre le temps de m’expliquer la suite des opérations. J’ai heureusement fini par tomber sur un sellier plus modeste mais beaucoup plus à l’écoute des cavaliers amateurs”, raconte Mathilde.



Les technico-commerciaux

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© Prestige

La relation avec le technico-commercial – plus généralement appelé “commercial” – semble complexe selon notre panel de lecteurs et offre une dichotomie assez forte entre amour et désamour. “Le commercial de la région avait une excellente réputation et j’ai en effet été enchantée de son professionnalisme et de la qualité de ses selles”, rapporte Rachel. “Un commercial de passage aux écuries nous a proposé de faire un essai avec les selles de qualité qu’il avait à disposition. Je ne souhaitais pas changer de selle mais j’ai tout de suite été séduite par l’une d’elles; elle m’a permis de gagner en efficacité et en précision dans mes actions de jambes et est d’un confort absolu. Je suis ravie d’avoir croisé le chemin de cette personne, mon expérience de cavalière est encore plus agréable!”, soutient Annélie. “J’ai également eu une excellente expérience de vente avec un commercial”, appuie Morgan. “Le professionnel est venu avec une dizaine de selles à chaque essai. Nous avons sélectionné les selles en conditions puis, après une prise de mesures, le commercial a fait adapter le modèle de la selle en un mois. Chaque année ou à chaque changement de monture, je le fais venir pour vérifier la selle. J’apprécie grandement le fait qu’il ne tente pas de me vendre à tout prix du matériel et qu’il fasse payer son déplacement afin de ne pas être “obligé” de vendre afin de rentabiliser son trajet.” 

La formation des technico-commerciaux a a contrario été vertement critiquée par un certain nombre de lecteurs. “Les saddle fitters ont de beaux jours devant eux tant que les selliers ne formeront pas mieux leurs représentants commerciaux”, assène Rachel. “Pour notre part, nous offrons une formation initiale de cinq semaines”, reprend le directeur commercial d’une marque de sellerie française. “Le futur commercial va collaborer avec la tannerie, l’atelier et le secteur recherche et développement, où est notamment étudiée en détail la morpho-adaptabilité du cheval et cavalier. À l’issue de cette première formation, les commerciaux passent un test de validation pour vérifier leurs acquis puis sont ensuite accompagnés sur le terrain par un professionnel chevronné. Ils bénéficient en outre d’une mise à niveau des connaissances tous les trimestres pour leur formation continue. Je conçois que certains commerciaux de terrain aient malheureusement une expérience inégale. Une formation plus officielle serait intéressante à l’avenir mais sans doute difficile à mettre en place.” “Je suis assez mécontente de plusieurs commerciaux qui n’ont pas été formés au saddle fitting et m’ont fait commettre des erreurs qui ont eu des répercussions sur la santé de mes chevaux”, déplore Audrey. Pour Marie, le manque de formation ne concerne pas que les technicocommerciaux: “Il y a un gros manque d’enseignement dans les Galops et l’apprentissage en général. Ni les propriétaires ni les moniteurs ne sont formés à cela, ou au moins préparés à être capables d’aborder le sujet! De même pour les saddle fitters, certains sont sans doute très bons en analyse statique mais n’ont pas de connaissance en analyse dynamique. Au final, ce sont les chevaux qui trinquent…” “J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de rotation dans le secteur et que, de fait, le service après-vente et le suivi des chevaux passent à la trappe. L’inégale qualité de certains commerciaux – que j’espère minoritaires – ternit la réputation des bons professionnels! Ne pourrait-on pas davantage discuter sur ce sujet en toute clarté?”, s’interroge Pascale.

La transparence du technico-commercial est le dernier point sur lequel achoppent les lecteurs sondés. “Le commercial a insisté sur l’utilisation d’un amortisseur pour combler le déficit d’équilibre de la selle qu’il me proposait, mais j’ai bien senti que mon cheval était malgré tout gêné dans ses épaules. J’ai fait confiance à mon ressenti et ai finalement fait mon achat ailleurs…”, raconte Céline. “J’ai également eu une mauvaise expérience avec un commercial qui a préféré me vendre une selle non adaptée à ma jument plutôt qu’être sincère et me réorienter vers un autre sellier”, regrette Laurine.



L’influence du coach

Le coach/moniteur est plébiscité par 47% des lecteurs sondés lorsqu’il est question d’accompagnement dans l’achat. Dans la majorité des cas, les sondés plébiscitant cette aide sont de bon niveau (Galop 5 à Galop 7). “Nous apprécions de pouvoir discuter avec le coach de l’acheteur car il saura identifier les points de position à améliorer”, glisse le directeur commercial précédemment cité. Si plusieurs lecteurs ont en effet avancé le soutien bénéfique d’un coach lors d’un achat, d’autres ont nuancé ce propos, pointant du doigt plusieurs problèmes, notamment le sponsoring. “J’ai été très fortement influencée par mon coach car il n’y avait tout simplement pas la possibilité de faire venir un autre sellier que le sien, qui sponsorisait l’écurie… Ce fut un vrai parcours du combattant!”, regrette Laurie. “L’omniprésence d’une marque dans une écurie (motivée ou non par le coach) est effectivement un problème et peut créer des conflits, qui se concluent au détriment du couple”, appuie Charlotte. “La légitimé du coach est également à questionner: s’il est peut-être capable d’évaluer les bienfaits d’une selle sur la position du cavalier, qu’en est-il de l’adaptation de la selle au cheval? Par exemple, ma coach n’a pas reçu de formation à ce sujet”, note Anaïs. “J’ai l’impression que l’on donne trop de crédit à son enseignant quand il est question de selle”, poursuit Raphaël. “Dans plusieurs écuries, j’ai vu des coachs valider l’adaptation d’une selle en y jetant à peine un œil ou, pire, en arguant qu’une selle pouvait aller à tous les chevaux… Ce genre de pratique est vraiment délétère  Un enseignant devrait être transparent et indiquer à son élève si un sujet dépasse ses compétences. En l’occurrence, il est compréhensible qu’un coach n’ait pas de diplôme de sellier ou de technico-commercial en sellerie et qu’il ait donc des lacunes à ce propos. N’oublions pas néanmoins que la santé du cheval – et du cavalier – est ici en jeu et que valider une selle néfaste ne pourra que nuire au couple.”

La location, l’autre mode de consommation

Plusieurs lecteurs ont indiqué préférer la location de selle à l’achat. En effet, certains selliers proposent depuis plusieurs années des offres de simple location ou de leasing, c’est-à-dire une location avec option d’achat. Si la location s’adresse à tous, les clients ciblés sont souvent des enfants et adolescents, des cavaliers aux montures temporaires ou encore des cavaliers de jeunes chevaux, amenés à fortement changer de morphologie. “J’ai sauté le pas de la location pour une raison toute simple: ma selle actuelle est en réparation!”, réagit Leyla. “En outre, je souhaitais faire quelques randonnées, ce qui était de toute façon peu propice avec ma selle d’obstacles. Je pense que la location est également intéressante pour les chevaux en transition ou qui sortent d’un long arrêt et sont gras/démusclés, par exemple.” “La location de selle haut de gamme s’adresse sans doute également aux cavaliers curieux de nouvelles sensations. Difficile néanmoins de baisser en gamme une fois que l’on a goûté au luxe, je suppose!”, conclut Jean. “Il faut voir le nombre de mois d’engagement, les tarifs et les modèles proposés, mais la location de selle me paraît en effet être une excellente idée. Je présume que cela nécessite toutefois pour les selliers et selleries d’avoir du stock et probablement de mettre en place un modèle financier différent.”

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.