“Privilégier le sentiment…”, Éric Louradour
Dans le nouvel épisode de sa chronique, Éric Louradour se concentre sur l’enseignement de l’équitation, qui a grandement évolué en moins d’un demi-siècle. En comparant deux époques et deux systèmes, l’instructeur passionné estime qu’il est nécessaire de “mieux éduquer les cavaliers débutants”, au-delà de l’heure hebdomadaire d’équitation à laquelle les conduisent leurs parents. “La plus grande part de maltraitance des chevaux provenant de la mauvaise équitation, il est important d’inviter les jeunes générations à simplifier leur équitation et à davantage utiliser leur tact, leurs sens et surtout leur bon sens”. Un vœu à méditer en ce début d’année 2024.
Dans le passé, et jusque dans les années 1980, un grand nombre de chevaux de sport était souvent entraîné en promenade et en extérieur afin de renforcer leur courage, leur moral, leur souffle et leur condition physique et musculaire. Certains cavaliers n’hésitaient pas à les monter à la chasse à courre en semaine et en concours le week-end. Même si les chevaux étaient généralement moins doués naturellement – plus lourds, moins de sang ou d’équilibre – que ceux d’aujourd’hui et qu’ils auraient donc pu avoir besoin a priori de plus de travail, les exercices en dressage comme à l’obstacle étaient souvent simples, adaptés, bien pensés et dosés: le cheval devait avant tout répondre au mouvement en avant, ralentir ou s’arrêter et tourner aussi bien à droite qu’à gauche le plus rapidement et efficacement possible.
Quant au cavalier, il apprenait à monter avec le mouvement en veillant à renforcer le côté positif de sa monture plutôt qu’à vouloir toujours combattre ses points négatifs. Il devait acquérir le sens du rythme et de l’équilibre, une réelle connexion avec le cheval en allant le plus souvent dans son sens. Dans cette dernière quête, c’est en passant du temps avec l’animal que le cavalier parvenait à mieux le connaître, l’interpréter et se connecter avec lui. À cette époque, la plupart des débutants passaient énormément de temps aux écuries à s’occuper de leurs montures: pansage, soins et activités variés, marches en main. Ils pratiquaient régulièrement une grande quantité d’exercices de mises en selle, certes douloureux mais indispensables, et testaient bien des disciplines équestres: voltige, promenade, dressage, saut d’obstacles, cross-country, travail à la longe, monte à cru, etc.
Ainsi, les élèves passaient leur journée au centre équestre. L’esprit “club”, où tous les passionnés se retrouvaient dans une ambiance de partage, était très développé. L’équitation était une véritable école de la vie et un mode de vie. L’apprenti était sensibilisé, instruit et éduqué sur fond d’éthique afin de mieux se socialiser, renforcer son mental et son physique, se cultiver, respecter et prendre soin d’un autre être, et surtout se passionner. Les enseignants obligeaient les élèves à être plus exigeants envers eux-mêmes et moins envers le cheval: “Comporte-toi avec les chevaux comme tu aimerais qu’on se comporte envers toi”; “La faute n’est jamais du cheval, mais toujours du cavalier”, pouvait-on entendre. Les enseignants et cavaliers n’imposaient pas à outrance à leurs chevaux l’utilisation trop répétitive d’exercices complexes de dressage ou de gymnastique à l’obstacle, de barres au sol, etc. Ils faisaient davantage appel à la flexibilité mentale et physique du cavalier et à son sentiment en multipliant les changements de positions, de chevaux et d’expériences équestres.
L’équitation est une question de sensations et c’est par toutes ces variations et expérimentations que l’on développe le tact équestre et que l’on construit un cavalier apte à monter tout type de chevaux et une femme ou un homme de cheval capable, même à travers le jeu, d’emmener sa monture à travailler et à devenir un superbe athlète.
De nos jours, en revanche, on fait souvent travailler les chevaux dans des lieux où il n’y a pas de promenade, dans des “bacs” à sable (petites carrières), des manèges, etc. Pour le confort de l’humain et l’urbanisation se développant, les écuries ont été implantées plus proches des villes ou dans des environnements moins spacieux et moins appropriés à la bonne évolution du cheval et du cavalier de compétition: pas de promenade en terrains variés, pas de terrain de cross, manque de nature, d’espaces verts et de paddocks. Cela rend la vie de nos amis équidés bien plus confortable sur certains aspects mais plus morose sur d’autres!
De plus, les jeunes passent moins de temps aux écuries et auprès des chevaux. Leurs parents les emmènent seulement pour l’heure d’équitation car il leur faut partager le temps périscolaire avec bien d’autres occupations. Aujourd’hui, l’enfant doit être un prodige multidisciplinaire. Par gain de temps donc, quand il arrive aux écuries, les chevaux sont souvent déjà pansés et sellés et il entretient de ce fait très peu de rapports avec l’animal. De même, il passe très peu de temps avec les autres cavaliers. Une fois à cheval, l’élève doit seulement se faire plaisir, ne pas souffrir et surtout ne prendre aucun risque. Les parents protègent l’enfant ou l’enfant a déjà ses exigences. Ainsi, il est recommandé que l’instructeur permette au cavalier de monter toujours le même cheval, qui lui plaît, et qui est souvent le plus facile; qu’il évite les séances trop répétitives de mise en selle (qui pourtant sont sécuritaires et permettent de tendre vers la juste position, les bonnes sensations et la connexion idéale cheval/cavalier); qu’il ne s’invente pas des reprises trop particulières (parcours de cross, course de galop, etc.) qui pourraient se révéler dangereuses…
Dans cette vision, il est difficile pour les élèves de développer leur tact équestre, leur sens de l’animal, leur sociabilité, mais aussi leur passion. Les cavaliers qui découlent de cette formation compensent souvent leur manque de sentiment et de compétences par un degré d’exigence trop important. Leur ignorance et leurs lacunes peuvent les inciter à utiliser de ce fait un dressage coercitif, un rapport de force, des embouchures complexes et surtout à « robotiser » leurs chevaux par une répétition acharnée et négative. Ce manque de tact et ces pratiques rendent leurs chevaux toujours plus anxieux et difficiles, ce qui crée ainsi un cercle vicieux: plus le cheval devient exubérant ou rebelle, plus ils amplifient le rapport de force et la “robotisation”.
Le monde du cheval a cependant accompli beaucoup de progrès en matière de bien-être animal. Et il faut continuer à aller de l’avant! Le constat que j’établis en comparant ces deux périodes distinctes est qu’il nous faut absolument chercher à mieux éduquer les cavaliers débutants. Ils seront les fervents défenseurs d’un sport noble et unique qui fera toujours rêver. Il est important d’inviter les jeunes générations à simplifier leur équitation et à davantage utiliser leur tact, leurs sens et surtout leur bon sens. Il faut rappeler que la plus grande part de maltraitance des chevaux provient de la mauvaise équitation. Dans le futur, je pense aussi que nous devrons réintroduire les chevaux de sport dans des lieux plus spacieux et appropriés à leur bien-être. De plus en plus, les cavaliers et gérants d’écuries devront trouver des solutions pour offrir une vie meilleure à nos amis équidés et minimiser les coûts. Les crises sanitaires, la flambée des prix de l’alimentation, de la litière et de la main-d’œuvre notamment, la pénurie de personnel capable de s’engager dans un métier à vocation, ainsi que l’influence des associations de protection des animaux nous obligeront à aller dans cette direction.
En tout état de cause, il faut laisser le temps au temps, et je reste confiant et optimiste pour le futur! En ce début d’année, je forme le vœu que les chevaux bénéficient toujours plus du retour qu’ils méritent pour tout ce qu’ils ont fait pour aider l’humanité à évoluer à travers les âges: transports, travaux forcés, durs et variés, guerres et conquêtes. Ils méritent vraiment notre respect, notre reconnaissance et notre dévouement. Je suis certain que nous sommes de plus en plus nombreux à le penser et à chercher des solutions. J’espère que ce texte contribuera à ajouter une pierre à la construction de cet édifice. Meilleurs vœux à toutes et tous, et merci de me lire. Je vous souhaite un merveilleux parcours équestre en 2024.
Sportivement vôtre, Éric