Quand la fibre règne en maîtresse dans l’alimentation équine

Herbivore monogastrique, le cheval est né pour manger et valoriser des végétaux en continu et en petites quantités. Son alimentation doit absolument comporter des fibres! Si l’appellation de ces dernières est familière aux équitants, sait-on vraiment ce que l’on désigne par ce terme? Pour mieux comprendre leur importance et leur maîtrise dans l’alimentation équine, plusieurs acteurs du secteur ont accepté de prendre la parole à ce sujet. Prêts à entrer dans un monde où la fibre règne?



La fibre a une définition large, puisqu’elle désigne à la fois la paroi cellulaire d’un végétal, mais également sa composition en cellules végétales. Pour une meilleure distinction, on classe souvent les fibres végétales en deux catégories: les insolubles et les solubles. “Les fibres insolubles (principalement cellulose et lignine), peu ou non digestibles, sont présentes dans les fourrages, mais également dans les aliments composés (granulés, floconnés, etc.) sous forme de luzerne, cosses d’avoine, etc. Les fibres solubles (dont les pectines et hémicelluloses) sont, elles, digestibles. On les retrouve dans des matières premières comme la graine de lin, la pulpe de betterave ou la coque de soja”, introduit Anne-Gaëlle Goachet, docteure en nutrition équine et responsable nationale cheval de la marque française Golden Horse. “Au niveau des fibres insolubles, nous pouvons aussi ajouter les cosses de lin, le tourteau de tournesol et le son de blé et, parmi les fibres solubles, la pulpe de raisin”, complète Alexandra Klouytten, chargée de projet recherche et développement chez Tromelin Nutrition, société détentrice de la marque bretonne de nutrition équine Horse Breed, qui fête ses vingt-deux ans cette année.



Le fourrage, base de l’alimentation équine

Encore peu connu des particuliers, le pistolet analyseur de foin par infrarouge permet d’en chiffrer les premiers éléments nutritionnels.

Encore peu connu des particuliers, le pistolet analyseur de foin par infrarouge permet d’en chiffrer les premiers éléments nutritionnels.

© Equideos

Au quotidien, il est d’usage de parler de fourrage lorsqu’il est question de foin (de prairie ou de luzerne), et de fibres lorsque ces dernières sont des éléments d’origine végétale, riches en cellulose, et intégrés à la ration qui constitue le complément de fourrage. Particulièrement riche en fibres par nature, le fourrage doit représenter 80% de l’alimentation quotidienne du cheval. Un bon foin peut être contrôlé par les sens: estil bien vert, craquant, non poussiéreux, non moisi et dégageant une bonne odeur? Présente-t-il une belle diversité de graminées et de légumineuses? Est-il composé de beaucoup de tiges dures? Etc. Néanmoins, seule une analyse de foin sera à même d’en révéler les composants nutritionnels. “L’analyse de foin est en effet indispensable pour en vérifier les qualités nutritionnelles. La plus complète est l’analyse biochimique”, commente Anaël Marzin, responsable de marché d’Equideos, marque spécialisée dans la vente à distance de produits dédiés aux professionnels du monde équin. “Nous proposons à la vente un kit de prélèvement préaffranchi, ainsi qu’un accompagnement de la lecture des résultats, qui peut être fastidieuse (le laboratoire indique en effet un grand nombre de résultats, dont le taux de matière sèche (MS), les matières azotées totales (MAT), l’amidon, les sucres solubles, les acides gras volatiles, etc., ndlr). Une étude prend dix jours, et en réaliser régulièrement est assez vite contraignant – et coûteux. Il est possible de passer par une solution intermédiaire: le pistolet analyseur par infrarouge. Nous proposons gratuitement cette solution à nos clients depuis avril 2023. Elle est moins complète que l’étude en laboratoire, mais permet toutefois de donner le taux de MS, les matières azotées digestibles chez le cheval (MADC), l’unité fourragère cheval (UFC), le taux de protéines, ou encore de savoir si le taux global de minéraux est dans la moyenne, plus haut ou plus bas. Nous souhaitons développer ce système et pouvoir le proposer lors de nos présences sur les événements équestres, par exemple.” 

Pour les déplacements ou dans le cadre d’une alimentation devant répondre à des normes antidopage, il est possible de se tourner vers du foin en sachet. “Il existe en effet des substituts de fourrage qui peuvent répondre à la demande des compétiteurs désirant contrôler les contaminations alimentaires. Ils se présentent sous la forme de sachets de foin dépoussiéré et compacté, faciles à transporter et à distribuer (de fait, Destrier propose à la vente Fibrissimo, estampillé Or, une garantie antidopage équin mise en place par la marque, ndlr), identifie Anthony Jouanigot, responsable de marché de la marque de nutrition équine Destrier, établie en France depuis quarante ans.



En quoi les fibres sont-elles nécessaires?

Les fibres ajoutées dans une ration pour compléter un aliment sont principalement utilisées pour leur intérêt mécanique.

Les fibres ajoutées dans une ration pour compléter un aliment sont principalement utilisées pour leur intérêt mécanique.

© Horse Breed

Comme évoqué précédemment, les fibres insolubles constituent la base structurelle des cellules végétales. Constituées de lignine ou de cellulose, elles sont plutôt rigides et gonflent dans l’intestin grâce à leur capacité à garder de l’eau. En augmentant son volume, le bol alimentaire ainsi constitué va stimuler les muscles intestinaux – le péristaltisme – et dès lors avancer vers le colon. Les fibres insolubles sont plus longuement broyées par le cheval. “Les fibres insolubles ont un effet mécanique très intéressant: le cheval prend son temps pour broyer et mastiquer les fibres, tout en les imprégnant de salive. Il est à rappeler que, contrairement à l’homme, les chevaux produisent de l’acide chlorhydrique en continu… À l’état naturel, le cheval produit en permanence de la salive en broutant – le fameux effet tampon – pour réguler cette acidité. Sans cette possibilité, c’est malheureusement la porte ouverte aux ulcères”, reprend Anne-Gaëlle Goachet. “Les fibres ajoutées à une ration pour compléter un aliment granulé ou floconné sont surtout utilisées pour leur intérêt mécanique”, appuie Alexandra Klouytten. “Une bonne fibre (de foin au sens large, ndlr) doit être saine de toutes mycotoxines et être la moins poussiéreuse possible. Pour les chevaux au système digestif sensible, il est possible de proposer des fibres déstructurées, qui sont plus souples et plus adaptées aux systèmes digestifs sensibles. Nous privilégions, tant que les stocks de production de luzerne le permettent, les fibres récoltées en début de saison, quand les parois du végétal sont encore jeunes et fines.”

Les fibres solubles, quant à elles, deviennent plutôt gélatineuses au cours de la digestion et agissent sur la satiété et la vitesse de digestion. Elles sont le plus souvent fermentescibles, c’est-à-dire accessibles par les micro-organismes hébergés dans le microbiote du gros intestin; ces derniers vont dégrader les fibres pour produire des acides gras volatils (AGV), la première source d’énergie pour le cheval. “Il est possible de classifier les matières premières selon leur teneur en fibres digestibles. Par exemple, la pulpe de betterave et les pectines de pommes et d’agrumes ont des taux plus élevés que l’orge ou le tourteau de soja”, reprend Anne-Gaëlle Goachet.



Maîtriser la distribution et la diversité

Dans les aliments fibreux, la proportion de fibres longues varie généralement de 3% à 30%; on parlera souvent de floconnés fibreux ou d’ultra-fibreux.

Dans les aliments fibreux, la proportion de fibres longues varie généralement de 3% à 30%; on parlera souvent de floconnés fibreux ou d’ultra-fibreux.

© Horse Breed

Pour son apport de fibres au sein d’une ration, l’aliment dit fibreux est fort populaire. “L’aliment fibreux contient des fibres longues, c’est-à-dire des brins de fourrage de deux à trois centimètres qui ont été hachés. Le plus souvent, il s’agit de brins de luzerne et/ou de foin de prairie naturelle. Dans ces aliments fibreux, la proportion de fibres longues varie généralement de 3% à 30%; on parlera dans le langage courant de “floconnés fibreux” pour les uns et “d’ultra-fibreux” pour les autres. Les floconnés fibreux sont des aliments à distribuer tels quels, quand les ultra-fibreux peuvent être utilisés seuls ou mélangés à l’aliment habituel”, note la nutritionniste de Golden Horse. “Néanmoins, il y a peu d’usines en France capables de préparer ce genre d’aliment, ce qui engendre des coûts de production plus élevés”, soulève Anthony Jouanigot. “Si la main d’œuvre ne pose pas de problème au moment de la distribution, il est possible de mélanger soi-même la ration de granulés ou floconnés avec une poignée de fibres prévues à cet effet pour entraîner une grande salivation et un long temps de prise alimentaire (ce qui est le cas de Fibr’Alfa, de Destrier, un foin dépoussiéré avec une haute proportion de luzerne déshydratée en longs brins, ndlr). Ce genre de mélange entre deux aliments contrôlés permet de garder la maîtrise sur les qualités nutritionnelles.” 

Pour poursuivre sur les compléments au fourrage, enfin, la diversité sera toujours à plébisciter. “Nous avons collaboré pendant trois ans avec le réputé laboratoire de recherche en alimentation équine Lab To Field pour explorer l’impact de l’alimentation sur le microbiote intestinal et les performances des chevaux”, annonce Tracy Menuet, responsable de la toute jeune marque française de nutrition équine Fiberracing. “Au final, l’aliment retenu contient beaucoup de sources de fibres (sainfoin, luzerne, pulpe de betterave et de chicorée), ainsi qu’une source d’acides gras bénéfiques à l’organisme, notamment des graines de lin extrudées.” Riche en inuline, la chicorée agit comme prébiotique, une source de nutriments pour les bactéries intestinales; le sainfoin présente quant à lui un taux de protéines et de fibres plus élevé qu’un foin de Crau ou de prairie. “Le taux d’amidon par repas est bas (<4%), permettant au système digestif équin de dégrader l’amidon dans son intégralité avant qu’il n’atteigne le gros intestin. Ainsi, nous réduisons les potentielles altérations du microbiote intestinal, ce qui favorise la digestion efficace des fibres.” Monoproduit à ce jour, Fiberracing développe déjà une nouvelle gamme pour l’élevage afin d’offrir un accompagnement complet aux chevaux de compétition. L’objectif est une commercialisation pour cet été. Avant cela, un service d’audit et d’analyse de ration personnalisée offert pour l’achat de l’aliment sera disponible début mars.